En gros plan, des oiseaux qu’on jette dans un sac et une voix off nous apprend l’origine d’un jeu ancestral : l’ancienne occupation d’un roi consistait à faire la guerre à un autre roi. Trop de sang versé ! Les pigeons ont remplacé les hommes et ainsi est né le « kash hamam » : les joueurs, les « kash kash », essaient de capturer les pigeons en vol des autres joueurs.
Parmi eux, Hassan Harb, qui a commencé à élever et entrainer des pigeons dès l’âge de neuf ans, et qu’on voit s’entrainer sur son toit-terrasse à Beyrouth. Il préfère les pigeons aux femmes ! En particulier le zajil, un oiseau royal qui revient toujours : « les oiseaux sont plus loyaux que les gens. » Abu Mustapha, pêcheur comme son père a lui aussi une vraie passion pour les volatiles qu’il élève depuis 40 ans ; il montre avec fierté les petits, éclos de la veille et transmet sa passion à son fils, Omar. Radwan El Khatib, coiffeur, rappelle les règles du jeu et insiste sur l’importance que les pigeons soient forts. « On aime les pigeons parce qu’ils nous aiment », confie-t-il à la réalisatrice. Il initie au sifflet la petite Aisha qui rêve de pratiquer ce jeu, réservé aux hommes.
On parle beaucoup sur les toits de Beyrouth. De la loyauté des joueurs entre eux, du sentiment d’abandon des habitants, du gouvernement corrompu, de la crise des ordures qui paralyse la ville, de la frustration et de la colère du peuple. Chacun des personnages évoque combien cette situation l’affecte. L’un a du mal pour acheter la nourriture de ses pigeons : le prix des sacs de maïs a flambé ; l’autre, pour survivre, avec sa barque, doit repêcher les corps des suicidés ou essayer de les ranimer. Sur un téléphone portable, on voit l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth, « comme une petite bombe atomique », précise Mustapha, ajoutant que les seuls à en profiter ont été les pigeons grâce au maïs et au blé répandus. Heureusement, il leur reste leurs toits, leurs oiseaux qui parcourent le ciel. « Si j’étais un pigeon, je serais heureux, je m’élèverais dans le ciel, sans jamais m’arrêter. Voler serait ma seule vocation », conclut Radwan. Et c’est sur des images de Beyrouth, filmées par un drone, tel un oiseau, que se termine Kash Kash, documentaire de Lea Najjar, portrait lucide de la ville et de ses habitants. Un beau travail.
ANNIE GAVA
Kash Kash a reçu le prix Première œuvre, parrainé par la Rai ainsi que la Mention spéciale Asbu et le prix à la diffusion 2M (Maroc) du Primed. La 26e édition du Primed s’est tenue du 5 au 10 décembre 2022