jeudi 18 avril 2024
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Femmes : we don’t Caire

Dans « As I Want », la réalisatrice Samaher Alqadi pose sa caméra sur la place des femmes dans la société égyptienne. Une réalité glaçante en surgit

Samaher Alqadi a grandi dans le camp de réfugiés de Jalazone, près de Ramallah. Acceptée à l’Institut supérieur égyptien du cinéma au Caire, elle a compris que sa caméra pouvait devenir une arme. Non seulement pour dénoncer les injustices mais plus fondamentalement pour conquérir son identité, sa légitimité de femme, de cinéaste, de palestinienne. As I Want, son premier long métrage, sélectionné à la Berlinale 2021, en atteste. Elle y mêle sa propre vie, sa grossesse, son accouchement, l’allaitement de son bébé à l’histoire récente de l’Égypte. La première filmée en noir et blanc, la seconde en couleur. Alternant, la voix off douce et posée qui évoque ses sentiments, et l’explosion des cris de colère des manifestant·e·s. Tantôt scénarisant des conversations imaginaires et intimes avec sa mère, tantôt saisissant le réel en mode reportage, caméra à l’épaule. Par ces allers-retours entre espace domestique et espace public, lieux clos et ouverts, la sphère privée s’insère tout naturellement dans le paysage politique et vice versa.

Le viol : un fléau de la société égyptienne

Le film part des agressions sexuelles survenues le 25 janvier 2013, place Tahir lors des manifestations organisées à l’occasion du deuxième anniversaire de la révolution égyptienne. Dans le chaos, des viols en groupe sont perpétrés. L’un d’eux est documenté par des images. Un cercle rouge tracé sur les photos isole la victime pressée par ses agresseurs. Malgré les preuves, ces crimes demeurent souvent impunis. Ce ne sont pas des cas isolés, ni exceptionnels : la rue est dangereuse pour les femmes. Ce qui justifie ces agressions masculines, c’est leur idée de la « nature » d’une femme. Née d’une côte d’Adam, elle est un objet que l’homme peut à sa guise utiliser pour le plaisir et la procréation, ou dit plus « poétiquement », qu’il peut enfermer comme un bijou dans son écrin.

La force d’être femme

Le film s’ouvre sur le ventre rebondi de la réalisatrice enceinte sur lequel se tatoue une calligraphie arabe. La chanson que lui chantait sa mère lui revient aux lèvres : 

« Quand ils ont dit : c’est un garçon, je me suis sentie forte et vigoureuse.
Quand ils ont dit : c’est une fille, mon monde s’est écroulé »

Une fille, c’est plus de souci qu’un garçon ! Une idée chevillée aux esprits de la plupart des gens. Entretenue par les religieux, l’école, la famille gardienne des traditions. Le radio trottoir que la réalisatrice fait dans la ville est édifiant. Pour les garçons comme pour les petites filles, Samaher ira en enfer parce qu’elle montre ses cheveux et ses jambes. La cinéaste, contrairement à ses collègues masculins, est interpellée parce qu’elle filme les scènes de rue. La place de la femme est au foyer. Ses diplômes sont décoratifs et l’impudique sera répudiée.

La crainte de leur corps, de leur voix, de leurs désirs s’intériorise peu à peu et coupe les ailes à de nombreuses femmes. La réalisatrice, victime d’attouchements dans l’espace public devant son fils, en arrive même à se demander si elle n’est pas comme on le lui répète : « une fille qui cherche toujours des problèmes ! » Certaines résistent, organisent des cours de self défense, aident les victimes à porter plainte, descendent dans la rue pour affirmer leur citoyenneté. Une très belle scène les montre défilant dans la rue devant des hommes sidérés, des couteaux de cuisine de toutes tailles brandies au dessus de leurs têtes. Rage et solidarité salvatrices de ces Égyptiennes !

Après Moubarak, Morsi. Après Morsi, Al-Sissi. Après Al-Sissi, Al-Sissi. Rêves de liberté brisés. Chaque fois, l’espoir, chaque fois la répression. Et toujours, si peu d’avancées pour Elles. Les Frères musulmans affirmaient que le Coran était la Constitution. As I Want nous montre que la reconnaissance de l’égalité hommes-femmes est bien un enjeu démocratique.

« Je ne sais pas si naître fille est une chance ou un malheur mais j’ai conscience de la force que je tire d’être une femme », conclut la réalisatrice qui dédie son film à sa mère.

ÉLISE PADOVANI

As I Want, le premier long métrage de Samaher Alqadi a été projeté au Primed dans la catégorie « Enjeux méditerranéens ».

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