La danse au cœur
Deux propositions initialement programmées en 2021 mais que le public n’a pu découvrir à cause des restrictions sanitaires sont de nouveau invitées. « On avait imaginé un programme par voie numérique mais pour O Samba do Crioulo Doido, ce n’était pas possible car aucune image explicite ne circule de cette pièce en raison de la nudité et de thèmes abordés qui auraient mis l’artiste en danger sous la présidence de Bolsonaro », explique Lou Colombani. Écrite dans sa version initiale (2004) par Luiz de Abreu, chorégraphe brésilien, noir et homosexuel, O Samba do Crioulo Doido (27 janvier, Friche la Belle de Mai) a été transmise à l’interprète Calixto Neto depuis sa re-création en 2020. Solo radical et transgressif aux allures de manifeste décolonial, mais aussi œuvre d’une beauté fulgurante, celle-ci transpose chorégraphiquement les stéréotypes racistes, conscients ou non, projetés sur le corps noir, pris en étau entre exotisme et érotisme. « Elle est très courte et elle dit tout », synthétise Lou Colombani.
La deuxième pièce reprogrammée post-Covid est celle de Dalila Belaza, Au Cœur (28 janvier, Klap). Projet au long cours né d’une commande faite à la chorégraphe par le musée Soulages de Rodez, Au Cœur scelle la rencontre improbable entre une danseuse contemporaine et le groupe de danse folklorique aveyronnais Lous Castellous. Une création traversée par la question du lien entre des danseur·ses ancrés dans une pratique traditionnelle locale et une artiste d’origine algérienne qui travaille la danse contemporaine. « Une pièce esthétique et profonde » aux yeux de Lou Colombani. Et la directrice artistique d’évoquer également une de ses récentes découvertes : Yes de la jeune artiste suédoise BamBam Frost (29 janvier, Ballet national de Marseille). « Je l’ai découverte avec une captation vidéo et j’ai eu un super coup de cœur. Elle propose un mix entre une danse hip-hop et krump mais très contenue, des images de la pop culture qu’on peut voir dans des films et la danse contemporaine. » Quant à Katerina Andreou, danseuse très physique suivie depuis ses débuts par le festival, « elle explore les limites de son corps et s’engouffre dans une pratique de manière très intensive pour observer comment l’ultra discipline donne aussi une place à son libre-arbitre ». Elle vient présenter sa dernière pièce, Mourn Baby Mourn (4 février, BNM), un seule en scène, « intime et nostalgique dans laquelle elle lâche tout ! »
LUDOVIC TOMAS
La Relève, en ouverture
Depuis plusieurs éditions, ce sont les arts visuels qui ouvrent le festival Parallèle avec le programme La Relève. Après un appel à candidatures, une quinzaine d’artistes visuels émergents ont été sélectionnés par un jury pour présenter leurs œuvres dans une exposition collective, accueillie dans plusieurs lieux de Marseille. Pour la 5e édition du dispositif, trois structures ont répondu présentes : la galerie art-cade, Coco Velten et le Château de Servières. Le thème choisi : équilibres. « C’est un projet qu’on affectionne tout particulièrement. Même si notre cœur de métier, ce qui nous meut au départ est le spectacle vivant », indique Lou Colombani pour qui cette formule coopérative « fédère les différentes structures accueillantes » autant qu’elle « fait converger les publics ». Et d’observer un effet levier pour la plupart des artistes passés par là, et un impact dans leur parcours. Nouveauté cette année, une curatrice en la personne d’Arlène Berceliot Courtin est missionnée pour assister les jeunes créateur·trices dans la visibilité de leur projet, mais aussi proposer une pensée globale et harmonisée de l’exposition.
À noter enfin, l’exposition Grillée* de Tamar Hirschfeld dont les intrigantes sculptures s’emparent du rez-de-chaussée du Musée des Beaux-Arts de Marseille. L.T.
* en partenariat avec le Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques)
Trois questions à Lou Colombani, directrice artistique du festival
Zébuline. Le festival ne s’oriente-t-il pas davantage vers des formes visuelles et performatives que vers le spectacle vivant à proprement parler ?
Lou Colombani. C’est vrai qu’il y a plusieurs expositions et installations vidéo comme celle de Rémi Bragard, Save our souls [25 janvier, Montévidéo], ou encore Decazeville – la montagne qui brûle de Nina Gazaniol Vérité [28 janvier, 1er, 3 et 4 février, Coco Velten]. Mais cette dernière, par exemple, est conçue de manière hybride, avec un début, une fin et l’artiste qui guide la dizaine de spectateurs et spectatrices qui auront réservé pour la séance. Nina est une artiste formée à la Fai-Ar [formation supérieure d’art en espace public, ndlr] donc à l’art vivant dans l’espace public. Nous programmons également Les Promises [1er février, Coco Velten] de Giulia Angrisani et Marion Zurbach, qui à la base est chorégraphe. Ce devait être un spectacle et c’est devenu un film à cause des obstacles liés au Covid. On peut aussi évoquer Dying on stage de Christodoulos Panaylotou, à la fois performance et conférence, qui explore la représentation de la mort sur scène. Les langages sont très hybrides et la programmation traduit l’évolution des pratiques des artistes. Ces derniers segmentent beaucoup moins en termes de disciplines. Et le festival se présente comme une caisse de résonance de ce qui apparaît, qui émerge. On est là pour montrer la manière dont les artistes d’aujourd’hui ont envie de dire des choses.
Et que nous disent-il·elles cette année ?
Les équilibres, les déséquilibres ou les rééquilibres sont très présents. Comment dessiner de nouveaux équilibres ? Au sens large. Que ce soit dans le rapport de l’humain à l’animal et au végétal, les rapports post-coloniaux entre les Sud(s) et le Nord ou même sur la question du genre. Ce sont des voix militantes. Il y a du politique sans forcément de spectacle à message univoque. Il est aussi beaucoup question de mort, de feu et de fumée. Je pense que ce n’est pas pour rien. On sent une hyper-lucidité, une hyperacuité chez les nouvelles générations et les artistes sont en général en avance sur leur temps dans la manière de percevoir, de formuler et de formaliser.
Le festival Parallèle est le temps fort et visible de votre activité mais vous développez un travail de fond tout au long de l’année. Quel est-il ?
Le projet devient humblement gigantesque… Il y a le pôle de production et de diffusion qui accompagne un certain nombre d’artistes. Il y aussi la coopération internationale avec le réseau pour les pratiques émergentes « Be my guest » que j’ai initié et qui rassemble aujourd’hui quinze partenaires européens. Ou encore « Radio That Matter », projet sur la création sonore comme moyen artistique et d’inclusion pour des personnes non ou mal voyantes dont on verra les productions au festival 2024. Nous nous inscrivons également dans Une 5e Saison, la biennale d’art et de culture d’Aix-en-Provence. Enfin, on est de plus en plus actifs dans des actions de formation et d’insertion professionnelles.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR L.T.
Un festival des solidarités
Ramina, La Cloche, Cultures du cœur, Navire Avenir. Parallèle ne vit pas en vase clos et établit des liens forts et inclusifs avec les associations et collectifs solidaires des personnes en situation de fragilité. « C’est une des dimensions très importantes du festival et que l’on sent quand on y vient parce que le public est mixte, de tous milieux sociaux, culturels, éducatifs. La création contemporaine n’est pas une question posturale, c’est parler du monde d’aujourd’hui et ouvrir la discussion avec le plus grand nombre », souligne Lou Colombani. Un engagement qui n'est pas né du hasard mais des sensibilités militantes de l’équipe. Quand il ne s’agit pas encore plus simplement d’une relation de voisinage comme c’est le cas pour La Cloche, installée comme Parallèle à Coco Velten, et destinataire des dons mis en place à travers la billetterie solidaire du festival. Une cohabitation qui, selon Lou Colombani, « a changé le festival et [sa] manière de travailler ». Quant au réseau d’accompagnement de mineurs non accompagnés Ramina, il est associé à la soirée du 1er février avec un repas solidaire à prix libre et un DJ set de Mousco, lui-même jeune réfugié. Le projet le ambitieux – mais aussi le plus fou – auquel Parallèle participe est celui de Navire Avenir. Porté par le groupe Perou (Pôle d’exploration des ressources urbaines) autour de l’artiste Sébastien Thiéry, il s’agit de concevoir puis de construire un navire parfaitement adapté aux besoins de l’activité de sauvetage en mer, qui sera confié, une fois réalisé, à SOS Méditerranée. La démarche consiste à « considérer le navire à la fois comme un bâtiment et une œuvre d’art et Parallèle est chargé de produire tout ce qui relève de la dimension sensible et artistique du bateau ». L.T.
À voir aussi
27 janvier. On vous voit, de Samir Laghouati-Rashwan + Cérémonie d’ouverture, de Joseph Perez et Juliette George
Friche la Belle de Mai, Marseille
28 janvier. Breathing, de Liam Warren et Hugo Mir-Valette
Klap – Maison pour la danse, Marseille
2 février. La caresse du coma d’Anne-Lise Le Gac
Montévidéo, Marseille
3 février. Bones Scores, de Cynthia Lefebvre
3bisf, Aix-en-Provence
Parallèle 13
Du 19 janvier au 4 février
Divers lieux
Marseille et Aix-en-Provence
06 63 64 25 83
plateformeparallele.com