Nul n’est prophète en son pays. Cette maxime a de quoi coller à la peau des membres de Martin Dupont. Actif pendant sept ans, de 1980 à 1987, le groupe marseillais de new-wave connait alors un succès confidentiel. La faute à d’autres projets personnels, ou à des actes manqués. Pourtant, d’année en année, le groupe n’a cessé de susciter une fascination auprès d’un public de plus en plus nombreux, notamment aux États-Unis. Une histoire palpitante dont un nouveau chapitre s’ouvre, avec un nouvel album et une tournée internationale qui a commencé ce 21 janvier à l’Espace Julien.
Blouse blanche ou blouson noir ?
Passionné de musique, le jeune Alain Seghir, leader de Martin Dupont, se voue très vite à une autre destinée, celle de devenir chirurgien. Quand il apprend qu’il n’a pas réussi son concours de spécialité, le choc est immense. « J’ai vendu tout mon matos, et pendant six mois je n’ai fait que travailler », explique-t-il aujourd’hui. Un an plus tard, il réussit son concours de la plus belle des manières : il est major national. Rapidement nommé chef de service, cette réussite personnelle scelle la fin de Martin Dupont. A jamais pensait-on.
L’aventure du groupe a commencé quelques années plus tôt, dans la maison d’Alain Seghir, à La Valentine (Marseille). Avec Brigitte Balian, Catherine Loy et plus tard de la clarinettiste anglaise Beverley Jane Crew, le groupe compose, répète et enregistre dans cette « piaule » ouvertes à tous – qui devient un repère pour les fans du groupe. Ce sont d’ailleurs ces derniers, constitués en association, qui vont sortir leur premier 45 tours Your passion. Pris par ses études, Alain ne démarche ni label ni salles pour jouer. En sept ans, Martin Dupont fera paraître deux autres LP, mais ne foulera la scène qu’à cinq occasions à Marseille et Montpellier. La suite de leur histoire va s’écrire longtemps sans eux.
Un renouveau et Kanye West
En 2008, Alain Seghir est un chirurgien ORL reconnu, son aura de médecin dépasse largement les frontières de Cherbourg, la ville où il s’est installé, et les patients se déplacent de loin pour le voir. « La musique m’a poussé à être performant dans mon métier, j’ai envie que les gens puissent utiliser leurs oreilles. » Mais Martin Dupont est très loin derrière quand il reçoit un mail du label new-yorkais Minimal Wave. « Je pensais que c’était un pote qui me faisait une blague. » Pendant toutes ces années, leur musique avait continué de vivre, loin d’eux. D’abord dans les boîtes de nuit allemande, où on se refile les quelques cassettes et disques arrivés jusqu’ici, puis en Angleterre. Et cette collaboration avec Minimal Wave, et plus tard avec le label français Infrastition, va asseoir leur notoriété à l’international. Les commentaires sur les vidéos YouTube – vues des centaines de milliers de fois – sont écrits en anglais, russe, espagnol… Leurs morceaux sont régulièrement samplés, des groupes internationaux comme Black Marble se revendiquent d’eux. Même Kanye West leur achète les droits d’un titre.
Poussé par cette incroyable effervescence, Alain Seghir décide de relancer le groupe. Entouré de ses anciens acolytes, et de nouveaux comme Thierry Sintoni et Sandy Casado de Rise and Fall of a Decade, ils enregistrent l’album Kintsugi et s’apprêtent à partir en tournée en Europe et aux États-Unis. Comme à New York, au Brooklyn Monarch (1000 places), presque sold-out avant même le début de la promo. Une première étape pour Alain, qui envisage une tournée mondiale en 2024, et, comme un juste retour des choses, d’arrêter sa carrière de chirurgien pour renouer avec cette histoire inachevée trente ans plus tôt.
NICOLAS SANTUCCI
Martin Dupont était en concert le 21 janvier à l'Espace Julien, Marseille