Déjà passée par le Bozar de Bruxelles, le Kunstforum de Vienne et le Kunstmuseum de Lucerne, la rétrospective David Hockney s’installe cette fois au musée Granet d’Aix-en-Provence. Peintre vivant le plus cher au monde depuis qu’il a détrôné Jeff Koons en 2018 (90,3 millions de dollars adjugés pour son Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) de 1972), il aura 85 ans en juillet prochain et se consacre aujourd’hui aux paysages de sa Normandie d’adoption, où il est installé depuis 2019. L’exposition aixoise, organisée grâce à un partenariat de la Tate Modern de Londres, compte neuf sections, en suivant une chronologie du milieu des années 1950 jusqu’à aujourd’hui.
Peu de toiles
Les 103 œuvres présentées et sélectionnées par la commissaire Helen Little sont essentiellement des œuvres sur papier, gravures et lithographies. Seule une quinzaine de toiles sont présentées. Dont le très connu Man in Shower in Beverly Hills (1964) qui reprend certains des thèmes favoris de l’artiste dans les années 1960 : l’eau en mouvement, le rideau, les scènes domestiques et l’imagerie homo-érotique. Également, plusieurs grands doubles portraits en pied, naturalistes, série qu’Hockney a débuté en 1968, s’inspirant notamment pour leur composition d’annonciations religieuses (celle peinte par Fra Angelico au XVe siècle) ou de portraits de mariage (The Arnolfini Marriage du peintre flamand de la Renaissance Jan van Eyck), tout en détournant avec espièglerie quelques codes du genre, pour évoquer certains malaises relationnels.
Par exemple, dans Mr and Mrs Clark and Percy (1971), deux amis du peintre, représenté peu de temps après leur mariage, tous deux à distance l’un de l’autre, le regard tourné vers le spectateur. Ou encore dans My parents (1977) où l’on perçoit l’incommunicabilité entre les deux personnages. Dans la dernière section de l’exposition, sont exposés deux œuvres hommages encore jamais vues en France : La chaise et la pipe de Vincent (1988) dans lequel, plein cadre, comme le serait un portrait, la chaise est représentée selon une perspective inversée. Et Les joueurs de cartes (2015) en hommage à Cézanne.
L’un des derniers cubistes
La perspective inversée (le point de fuite du tableau se situe derrière le spectateur qui le regarde) est l’un des outils picturaux qu’Hockney utilise pour ses recherches sur la représentation de l’espace. Ce qui l’a spécifiquement mobilisé à partir des années 1980, donnant lieu à des travaux qui occupent les dernières sections de l’exposition, après celles dédiées aux arts graphiques (gravures de la série A Rake’s progress et celles inspirées du poète gréco-égyptien Constantin Cavafy).
Car comme Picasso, qui l’a fortement influencé, Hockney prône la pluralité des points de vue, constatant que l’œil humain n’est jamais figé, et qu’il est capable de percevoir plusieurs choses en un seul regard. Un nombre important de lithographies en témoignent, aux compositions dansantes, et aux influences qu’on pourrait également qualifier de fauve et « matissienne ». Notamment celle des vues de la cour intérieure de l’hôtel Acatlán au Mexique, ou encore le paravent de quatre panneaux formant Carribean Tea Time.
À la fin de l’exposition, son goût pour « le point focal changeant », la combinaison de différents médias et techniques, les citations érudites et les mises en abimes picturales s’expriment en très grand dans le monumental (8m x 3m) In the Studio de 2017. Un autoportrait de l’artiste dans son atelier, entouré d’œuvres anciennes et récentes, composé de 3000 photographies numériques assemblées. Enfin, les paysages normands sont présentés sur un triptyque d’écrans, où on les voit se réaliser du début à la fin en parallèle, faisant un clin d’œil malicieux au fameux film d’Henri-Georges Clouzot Le mystère Picasso.
MARC VOIRY
David Hockney, collection de la Tate
Jusqu’au 28 mai
Musée Granet, Aix-en-Provence
museegranet-aixenprovence.fr