Le 29 janvier dernier, Marseille commémorait les quatre-vingts ans de la rafle du Vieux-Port qui a entraîné l’arrestation de 12 000 personnes, pour 1642 déportations, dont 782 personnes juives. La justice française via le pôle du parquet de Paris a ouvert un dossier pour crime contre l’humanité à la suite de la plainte déposée au nom des survivants et des descendants de ces rafles, le 29 mai 2019 seulement. Le 1er février 1943, 1200 immeubles près du Vieux-Port, le cœur même de la Marseille antique, sont détruits à l’explosif par les troupes du génie allemand. Cyniques miliciens français qui, secondés par les troupes allemandes, ont procédé à l’évacuation des habitants auxquels ils demandaient de bien garder les clés de leur maison par sécurité…
Les artistes relèvent quelques paroles annonciatrices de cette destruction : l’architecte en chef de 1926 à 1941, chargé d’établir le « plan directeur de la région marseillaise », expliquait afin de justifier son ambition de remodeler entièrement cette zone : « C’est l’occasion providentielle d’assainir la ville et les mœurs, de jeter bas cette vieille citadelle de la punaise et de l’infamie. Faisons du vide, enlevons ces gravas et qu’enfin cesse la honte de Marseille. Un seul moyen, raser tout et vite, et, sur les ruines de ces vieilles masures, bâtir une ville nouvelle ». On le sait, les aspirants au renouveau et à la « propreté » justifient les êtres et les théories les plus dangereux ! Il est sans doute à préciser que cet architecte ne souhaitait pas détruire les vies, et que les motivations de ces grands travaux d’assainissement relevaient davantage de la spoliation et de la spéculation immobilière (Zola en a tracé le terrifiant mécanisme dans La curée).
Coïncidences et parallèles
Le propos de Virginie Aimone et Jeremy Beschon s’appuie sur une solide documentation. Elle va de la plaidoirie de Pascal Luongo pour crime contre l’humanité auprès du tribunal de grande instance de Paris, des ouvrages de Gérard Guicheteau, Michel Ficetola, Alessi Dell’Umbria, des témoignages recueillis par Dominique Cier, à la thèse d’anthropologie urbaine de Marie Beschon, Euroméditerranée ou la ville de papier, ethnographie du monde des aménageurs.
La pièce emplie de délicatesse et d’humour nous fait revivre l’histoire à travers des destins particuliers et d’amples mouvements d’ensembles. Voici une famille juive qui débarque d’Algérie, confiante dans le décret Crémieux, les Napolitains qui ont fui les chemises noires, les hauts-dignitaires nazis, la mafia, les architectes urbanistes… Ceux d’Euromed produisent aujourd’hui des plans dont la rectitude en évoque d’autres plus anciens, comptant toujours leur lot d’expulsions, curieusement toujours située dans les quartiers populaires… Si l’acte de guerre coïncida avec un projet d’administration municipale, le projet étatique de rénovation d’Euroméditerranée accentue la violence des inégalités sociales. Le lien entre l’architecture et les projets de société est une évidence certes, mais qu’il est bon de souligner. La relation entre urbanisme et pouvoir se pose fortement et la limpidité de la pièce du collectif Manifeste Rien apporte un éclairage glaçant sur les mécanismes qui régissent l’aménagement des territoires.
MARYVONNE COLOMBANI
Les rafles, d’un siècle à l’autre 2 au 4 février Théâtre de l’Œuvre, Marseille 04 91 90 17 20 theatre-œuvre.com