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80 jours pour un tour du monde, 88 minutes pour celui de la musique moderne !

Après l’Histoire de la Musique en 66 minutes, l’Ensemble Télémaque nous embarque dans un nouveau voyage musico-temporel, toujours porté par Agnès Audiffren à la mise en scène, et Raoul Lay à l’orchestration

Minuter la durée d’un spectacle, la contrainte renouvelle avec humour la première règle des trois unités de la tragédie classique et emprunte le tour du défi chronologique à John Cage et son célébrissime 4’33’’ (souvent décrit comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence »). Fort du succès de son premier opus, l’Ensemble Télémaque propose avec Une histoire de la musique moderne en 88 minutes, un nouvel épisode des aventures du professeur Paulus Olivierus. Ce génial et étrange personnage (qui tient un peu de l’Alcibiabe Didascaux des bandes dessinées retraçant l’histoire des civilisations en propulsant ce professeur de latin grec dans les époques évoquées) a la capacité de se retrouver dans le corps et l’esprit des grands musiciens. Après avoir été Bach ou Mozart, le voici arpentant une nouvelle période. 

Bien fatigué, installé sur un fauteuil roulant, se souvenant à peine de son nom, Paulus Olivierus (époustouflant Olivier Pauls) est l’ombre de lui-même. Son infirmière, Birgit Von Eyrep (fantastique Brigitte Peyré), l’entoure de sa sollicitude et s’efforce de convaincre son malade qu’il n’est personne d’autre que lui-même et que la musique lui est nocive. Mais voilà, les premières mesures de Grieg, Dans l’antre du roi de la montagne (Peer Gynt), l’âme de musicien qui sommeille dans notre personnage fantasque n’y tient plus ! Exit Paulus Olivierus, voici Edward Grieg qui se lève, raconte des épisodes de sa vie, expose son amour pour son pays la Norvège, son amitié pour Ibsen qui écrit le livret de Peer Gynt, écoute la Chanson de Solveig que Birgit Von Eyrep, métamorphosée, entonne de sa voix pure. Se succèdent, au fil d’aventures soigneusement tissées par le livret intelligemment didactique et espiègle de Raoul Lay, Jean Sibelius et sa Valse triste, Manuel de Falla et son Amour sorcier, Leoš Janáček et son 1er Quatuor à cordes ou le délicat lieder, Tužba, pour voix et piano. 

Un voyage en transat 

Après un petit entracte au cours duquel la metteure en scène Agnès Audiffren a distribué aux enfants de la salle des dessins stylisés représentant chat, oiseau, canard, alors que le chef d’orchestre donne à deviner les thèmes de Pierre et le loup joués par la flûte (Charlotte Campana), le hautbois (Blandine Bacqué), la clarinette (Linda Amrani), les dessins se lèvent pour chaque animal, aucune erreur, les enfants connaissent le conte musical sur le bout des doigts… Mais Sergueï Prokofiev déboule, en colère : quoi ! Alors qu’il a écrit des centaines d’œuvres diverses, la seule retenue est cette fantaisie enfantine ! Pourtant la Danse des chevaliers (extrait de Roméo et Juliette) nous plonge dans la tragédie shakespearienne avec puissance, les mouvements en sont disséqués afin que la rivalité fatale des deux familles de Vérone soit tangible tandis que le couple Olivierus Paulus alias Prokofiev et sa compagne esquissent une danse qui est aussi un duel. 

Contemporain du compositeur russe, Kurt Weill doit fuir son Allemagne natale puis la France pour rejoindre les États-Unis en 1935. Des extraits de son journal narrent sa traversée de l’Atlantique sur le fauteuil roulant agrémenté d’une voile qui symbolise le passage. L’Amérique sera le prétexte pour retrouver George Gershwin puis Leonard Bernstein avant une plongée en Amérique du Sud avec le subtil Astor Piazzolla que la grande Nadia Boulanger auprès de qui il était allé étudier encouragea à suivre sa propre voie. Brigitte Peyré passe avec une aisance éblouissante de la Complainte de Mackie (L’Opéra de quat’sous) à Summertime (Porgy and Bess), ou au célébrissime America de West Side Story en un duo d’une folle énergie avec Olivier Pauls qui sera bissé. 

L’ensemble des neuf musiciens sur scène (ajoutons les noms de ceux qui n’ont pas été cités, Christian Bini, percussions, Yann Le Roux-Sèdes et Jean-Christophe Selmi, violons, Pascale Guérin, alto, Jean-Florent Gabriel, violoncelle) sonne comme un orchestre grâce aux superbes arrangements de Raoul Lay, le piano d’Hubert Reynouard, prompt aux facéties, offre un medley virtuose des pièces du spectacle. 

Pour enfants cette histoire de la musique moderne ? Assurément, mais pour les grands aussi et sans modération ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Une histoire de la musique moderne en 88 minutes a été donné le 4 mars au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence.

À venir

2 avril (17 heures)

Théâtre Jean Le Bleu, Manosque

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