« Le couloir rouge », les êtres et le monde

Accueilli par les Nouvelles Hybrides, Brice Matthieussent présentait à la bibliothèque de Jouques son dernier ouvrage Le couloir rouge

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Le « bruit des mots » ne cesse de palpiter grâce à l’association des Nouvelles Hybrides qui multiplient rencontres et ateliers littéraires tout au long de l’année. La bibliothèque de Jouques, partenaire de longue date de l’association, accueillait, avec la complicité d’Élodie Karaki, l’écrivain, professeur d’esthétique, traducteur, Brice Matthieussent autour de son dernier roman, paru chez Christian Bourgeois en mai 2022, Le couloir rouge

Bruits de couloir

La relation au langage et à la langue se trouve au cœur de ce texte construit sous forme d’une relation faite par Marco à ses amis lors de leur repas mensuel dans un petit restaurant vietnamien à Paris, personnage qui a vécu au Vietnam dans les années 1970 et n’en est pas revenu indemne. « Après quarante ans est enfin mise en mots l’expérience vécue, comme une anamnèse, explique l’auteur, le livre pose la question de jusqu’où la littérature peut aller pour rendre compte des choses. » Le schéma narratif s’élabore à l’instar de ceux expérimentés par Joseph Conrad, dont l’esprit plane sur le texte, depuis l’épigraphe, un extrait de Lord Jim, et la dédicace adressée à « Malraux et Marlow », clin d’œil lié autant par l’homophonie des noms que par la présence de Malraux dans le récit, en tant qu’invisible démiurge (c’est grâce à son intermédiaire que Marco, jeune anarchiste, aura la possibilité de partir au Vietnam), et la référence à Marlow, grand narrateur chez Conrad. 

Le texte se construit sur des enchâssements de narrations à diverses époques. Livre de paroles, Le couloir rouge est aussi un livre d’écoute : Marco s’adresse à ses amis silencieux attablés autour de lui et ce jusqu’à l’aube. Les sidérations, découvertes de la guerre, de l’esclavage, de la mort violente (le couloir rouge de sang de l’hôpital menant à la chambre d’un blessé mourant imprime sa marque sur l’imaginaire et l’appréhension du réel du jeune Marco), d’un amour passager et indélébile, constituent autant de premières fois, traumatiques ou éblouissantes. Dépouillé de la plupart des caractéristiques de l’oralité, le langage employé par Marco est très littéraire, offre des descriptions et des analyses fines, emploie les structures narratives classiques en un rythme très fluide. Le roman d’initiation est aussi celui d’un auteur qui rend hommage à ses grands prédécesseurs. La plongée dans les ténèbres d’un être se double de celle dans les obscurs méandres de notre temps.

MARYVONNE COLOMBANI

Le couloir rouge, de Brice Matthieussent

Éditions Christian Bourgeois

Organisé par l’association Nouvelles Hybrides, l’entretien avec Brice Matthieussent a eu lieu le 9 février à la bibliothèque de Jouques