mercredi 2 octobre 2024
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Dancing Pina, la nature des corps

Florent Heinzen-Ziob célèbre Pina Bausch, icône de la danse contemporaine, en opposant les corps noirs et les corps blancs, autour de deux ballets sacrificiels : Iphigénie en Tauride et Le Sacre du Printemps

Le documentaire Dancing Pina, salué par une critique unanime, est un bel objet de cinéma : approche serrée des corps dansants, rythme parfait du montage, alternance entre les séquences allemandes et africaines, entre les paysages, les corps et les témoignages, montée lente des premières répétitions vers la création finale… Tout est maitrisé sans ostentation, et permet de cerner de près l’essence de la danse de Pina Bausch. Le spectateur comprend comment le mouvement cherche à atteindre les émotions, le « vrai », pour les donner à voir et à éprouver, sans verrouiller les corps, en respectant chacun d’entre eux dans sa singularité. 

La danse de Pina Bausch expose en particulier le corps des femmes dans ces deux ballets. Le premier mettant en scène Iphigénie, qui a échappé au sacrifice et doit en commettre un tandis que dans Le Sacre, toutes savent que l’une d’entre elles va mourir. La danse nous fait éprouver comment Iphigénie réagit au récit tragique, vacillant, se cognant, se reprenant, interrogeant du regard un ciel muet et des convives aux regards fuyants. Ou comment les femmes offrent avec effroi de se soumettre au choix des hommes, le soulagement d’y échapper, et de se ranger pour le rituel final, la mise à mort, dans la transe masculine.

Rituel… africain ? 

C’est évidemment là que le bât blesse, ou du moins interroge : Le Sacre du Printemps n’est pas un ballet africain. Stravinsky l’a écrit en référence à des rituels de la Russie païenne, vénérant la nature et les dieux animistes, le Printemps. La musique, qui a donné lieu à des centaines de ballets différents, met en scène le désir, le couple, le rapport à la terre, et une mise à mort. En quoi est-il africain ?

Quand Germaine Acogny, directrice de l’École des Sables où est tournée la partie africaine, interprétait Mon Élue Noire d’Olivier Dubois, elle portait la douleur de l’esclavage et la force de la rébellion. Quand avec les danseurs de la troupe de Pina, elle met en scène 38 danseurs africains portant ce rituel, ils s’emparent de cette danse et la transcendent, l’éloignent définitivement des élévations et étirements classiques pour y ancrer d’autres exploits, plus musculeux, spasmodiques, essoufflants. Le ballet final, face à la mer, dans une scène de sable, est sublime. La transmission s’est faite, des danseurs blancs de la troupe de Pina vers ces corps venus de toute l’Afrique, à travers Germaine Acogny qu’on aperçoit à peine.

D’où ce malaise : le Sacre est magnifique, mais le montage systématique entre l’Allemagne blanche avec ses palais, son opéra, Glück au piano puis à l’orchestre… et l’Afrique où les Blancs apprennent aux Noirs, est troublant. D’autant qu’il est question de corps auxquels le rituel « va bien », comme s’ils étaient plus proches du meurtre et de l’animalité.

Raffinement européen qui évite le sacrifice et dessine dans l’air les arabesques de la douleur et du chant, tellurisme africain qui s’ancre dans le sable, le rythme et la fureur, les deux ballets sont sublimes. Confrontés, ils révèlent bien des archétypes. 

AGNÈS FRESCHEL

Dancing Pina, de Florian Heinzen-Ziob
En salle depuis le 12 avril
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