L’Opéra de Marseille s’est recentré cette saison sur ses fondamentaux. Soit nombre de grands classiques italiens, et surtout d’opéras de Verdi, très vite complets, à l’instar de sa Carmen monumentale. Si l’on pourra regretter ce manque d’ambition et d’ouverture, entre autres au contemporain, que d’aucuns justifieraient par la frilosité actuelle du public opératique, force est de constater que la phalange n’a pas son pareil pour donner vie à ce répertoire. Si bien qu’elle saura convertir les plus réticents à la musique verdienne, rendue ici dans toute sa virtuosité mais aussi dans sa viscéralité.
Déjà aux commandes pour le grand succès que fut Macbeth en octobre dernier, le chef Paolo Arrivabeni n’a pas son pareil pour donner un coup de fouet à des cordes parfois trop disparates pour emporter complètement. Il sait aussi et surtout faire sonner les vents, et tout particulièrement les cuivres, avec le même timbre sombré que celui des chanteurs. La distribution vocale est également idéale : annoncé souffrant, le baryton Juan Jesús Rodríguez est un Nabucco puissant et fragile. Lorsqu’il réclame le trône et se substitue à Dieu, il tonne sans faillir ; lorsqu’il se repent, larmoyant et échaudé, il couvre sans peine l’orchestre pourtant très présent, sans avoir l’air de hausser le ton. Mais la révélation de cette production est peut-être, une fois de plus, féminine : l’Abigaïlle superlative de Csilla Boross emporte tout sur son passage. Son tempérament d’ogresse assoiffée de pouvoir et de vengeance, blessée, jalouse et capricieuse, rend justice à ce rôle ingrat sur le papier : jusqu’au contre-ut, jusqu’au moindre aigu émis pianissimo, tout demeure d’une même couleur sublimement dramatique. Dans les rôles de Fenena et Anna, Marie Gautrot et Laurence Janot tiennent la dragée haute à ces solistes exceptionnels : l’une forte d’un medium chatoyant, l’autre d’aigus plus que séduisants. Le Zaccaria de Simon Lim est d’une solidité étonnante, tant et si bien que ses graves pourtant acrobatiques se parent toujours d’une riche palette d’émotions. Les chœurs, très sollicités, se révèlent également assez engagés pour convaincre, notamment sur leur mythique « Va, pensiero ». Dommage, donc, que pour honorer ces musiciens exceptionnels et cet opéra moins manichéen et démesuré qu’attendu, la mise en scène de Jean-Christophe Mast ne propose rien d’autre qu’une symbolique gentillette, certes compensée par une belle direction d’acteurs.
SUZANNE CANESSA
Nabucco a été donné les 30 mars, 2, 4 et 7 avril à l’Opéra de Marseille.