Parce que Johnny Depp, qui s’est allié avec les pires masculinistes pour écraser Amber Heard, y vient en star et ouvre le festival ? Parce que Adèle Haenel, dont on aime tant le courage, le talent et la rage, a jeté l’éponge et se tourne (bienvenue !) vers le théâtre et Gisèle Vienne ? Parce que Depardieu, Polanski, l’impunité, le silence, guident toujours les reflexes du cinéma français qui césarise et récompense l’abjection ?
Oui, mais pas seulement. Certes, sur les écrans de Cannes, il y aura un peu plus de films de femmes qu’avant. Un peu moins d’un tiers, ce qui aboutit mathématiquement à donner deux fois moins de place aux réalisatrices. Mais le pourcentage écrasant des histoires d’hommes sur les écrans, la sous-représentation des couples LGBTQI, des couples mixtes, la disparition des actrices de plus de 50 ans, et le parallèle, c’est à dire ces couples glamour où l’homme est toujours plus vieux et socialement dominant (ah le charme des amours ancillaires !)… tout cela reste à l’œuvre. Un peu moins qu’avant : Louis XV avait 33 ans de plus que Du Barry, Depp 13 de plus que Maïwenn, et il est resté son roi. Quatre siècles pour gagner 20 ans : les couples de nos écrans continuent de fabriquer, mal, les imaginaires qui guident encore, mal, nos choix sociétaux.
Une vision dépassée
Le Festival de Cannes est la vitrine paradoxale de la violence symbolique faite aux femmes et au peuple. Capable de programmer des films revendicatifs, politiques, de nommer Vincent Lindon, qui porte une vision du film social français, ou Jane Campion, féministe affirmée, comme président·e·s , il ne remet jamais en question un décorum hérité d’une vision dépassée du cinéma : le luxe, symbole de la beauté, qui dit à nos jeunes filles qu’elles doivent porter des marques, dépenser de l’argent et du temps pour les soins de leur corps, leurs cheveux, leur visage (Allo, t’es une femme et t’as pas d’shampoing ?), se soumettre toujours comme objet désirable.
Cannes, c’est le cinéma ? Les yachts baignent dans la baie, la coke, le champagne et les prostituées. La cérémonie du tapis rouge transforme chaque actrice en objet qui doit reluire et porter sur son corps les objets de luxe qui font la fortune de l’homme le plus riche du monde et de France.
Nous verrons les films ailleurs, et après.
AGNÈS FRESCHEL