On connait Ilan Klipper pour ses explorations des frontières entre raison et folie, intégration et marginalité. Par le documentaire ou la fiction ( Funambules, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête), il a mis en lumière des personnes-personnages, riches d’une humanité fragile, cherchant à se définir par rapport à une norme. Avec Le Processus de Paix, le réalisateur s’essaie à la comédie et nous plonge dans le quotidien banal, trivial, d’un couple hétéro lambda. Quadragénaires urbains, middle class, dix ans de mariage au compteur, deux enfants – fille et garçon pour le parfait équilibre. Une famille Ricoré en somme – avec toutefois un peu plus de désordre dans l’appartement, un lave vaisselle à vider, des couches sales, des pleurs de bébé, des cris et crises, et une crudité non édulcorée, absente de la célèbre publicité. Une normalité qui ne satisfait plus personne et frise la folie. Simon (Damien Bonnard) est juif non pratiquant soumis à une mère tyrannique, féministe, non conformiste, grand- mère volontiers indigne, interprétée malicieusement par Ariane Ascaride. Il est professeur d’histoire à l’Université. Tout en étant un père et époux « moderne » (c’est à dire qui partage les charges domestiques et éducatives), il croit au mariage dans sa forme traditionnelle et à la famille. Marie (Camille Chamoux qui a co-écrit le scénario) présente Point G. une émission radio sur les désirs des femmes, réprimant les siens et rongeant son frein devant les injustices de son milieu professionnel. Tous deux s’aiment encore mais ne se supportent plus. Ah ! les portes de placard laissées ouvertes ! Les poils sur le canapé et les divergences éducatives ! Comment font les autres ?
La sœur de Simon, Esther (Sabrina Seyvecou), et son conjoint Jérôme (Sofian Khammes) vivent l’apocalypse permanente avec quatre moutards explosifs, et finiront par divorcer en chantant « S’aimer comme on se quitte » un grand sourire aux lèvres. Nadia, la collègue de travail de Marie (impériale Jeanne Balibar) a choisi le célibat et consomme quasi compulsivement tous les mâles « baisables » à la ronde. Le patron de la radio, (Laurent Poitrenaux) drapé de son autorité, papillonne. Tel limite la cohabitation avec la mère de ses enfants à de courtes vacances sans eux. Tel autre déplore la fin du mâle Alpha cause selon les thèses réactionnaires bien connues de la déconfiture des familles. Le couple est au centre des conversations dans les soirées privées comme au travail. Chacun donne ses « ficelles ». La paix des ménages serait-elle une guerre de position ? Pour enclencher la pacification et rendre leur vie plus supportable, inspirée par le modèle de la charte de co-parentalité que leur explique un ami, Simon et Marie décident de rédiger la leur : la Charte universelle des droits du couple en dix commandements et de les suivre tant bien que mal. Mais la raison peut-elle remédier aux frustrations ? Peut-on « gérer » la vie et l’amour par un traité diplomatique ? Le propos, au fond, reste dans la lignée des réflexions de Ilan Klipper sur la norme – conjugale ici, et sur tout ce qui la « déborde ». Le film, nourri d’expériences personnelles, selon le réalisateur et sa co-scénariste, ne manque pas de charme jusque dans la caricature assumée. Mais, loin de la grâce subtile du Voyage en Italie de Sophie Letourneur, de la noirceur viscérale de Bergman et de l’acuité analytique d’un Woody Allen, magistraux sur le sujet, Le Processus de paix reste au niveau d’un discours ambiant ressassé par les médias. L’analogie avec le conflit israélo-palestinien enseigné par Simon à la fac, peut également paraître contestable, voire dérangeante. Il n’y a jamais eu de mariage d’amour entre les belligérants du Moyen-Orient, ni d’enfants d’un même lit à élever. Quelle que soit la violence générée par une mésentente maritale, ce n’est définitivement pas de la même guerre dont on parle.
ÉLISE PADOVANI
Le processus de la paix, de Ilan Klipper
En salles le 14 juin