Zébuline. À quoi est dû, selon vous, le plébiscite des Marseillaises et Marseillais pour leur politique culturelle ?
Jean-Marc Coppola. Il serait facile de prendre pour acquis un sondage – j’aurais, pour ma part, tendance à m’en méfier. Ce qui m’intéresse, c’est le contact direct avec les Marseillaises et les Marseillais. Il se révèle généralement très encourageant. Il faut aussi reconnaître que nous avons eu de la chance : au moment où des théâtres déprogramment et ferment partout en France, nous vivons une année très enthousiasmante, marquée par la réouverture du Mac mais aussi d’un lieu de création et de résidence au Théâtre de Lenche. Et il faut enfin admettre que notre volonté de mettre en place une véritable politique culturelle a été perçue et entendue. Je sens une réelle reconnaissance vis-à-vis de notre engagement. L’offre culturelle de Marseille a toujours été très importante et très diverse, mais elle n’était pas mise en avant, accompagnée par une politique culturelle digne de ce nom. Pas simplement de lieux ou d’argents dédiés à la culture, mais d’une réelle politique. Un vrai travail de communication a été fait : il ne s’agit pas de communiquer pour communiquer, mais de valoriser des pépites culturelles méconnues. Nous ne disposons pas, par exemple, d’un support qui donnerait l’ampleur de cette offre culturelle à l’échelle municipale. Plusieurs médias, et Zébuline tout particulièrement, en rendent compte avec un regard critique, et c’est un regard qui est plus que précieux, essentiel, pour accompagner cette vie culturelle.
Quels ont été les moyens techniques déployés pour pérenniser et développer l’offre culturelle actuelle ? Quels modes de financements avez-vous privilégiés ?
Les subventions d’investissement étaient trop peu nombreuses sous Gaudin. Tout était prioritaire et rien ne l’était… Nous avons appuyé là-dessus. Il a fallu convaincre l’équipe municipale de leur nécessité. Et je sais que beaucoup jalousent mon budget ; nous sommes passés de 27 à 28 millions de subventions, sans compter les 20 millions mobilisés pour l’Opéra de Marseille. Notre budget est donc plus que stable, et le caractère essentiel et prioritaire de la culture est plus que reconnu, ici. L’enveloppe est également plus important : 160 nouvelles associations ont été accompagnées, et ce sont désormais 500 associations culturelles et artistiques que nous soutenons.
« Notre obligation vis-à-vis de Montévidéo n’est pas juridique : elle est morale et politique. »
Cela implique-t-il de baisser d’autres subventions de fonctionnement ? Que répondez-vous à celles et ceux qui craignent des baisses de budgets pour certaines structures au profit de nouveaux venus ?
Certaines subventions ont en effet fait l’objet de baisses après de nombreuses discussions : celle de Marseille Jazz des Cinq Continents, du Gymnase, du Toursky bien évidemment… L’Inseamm a également connu une baisse certaine. Nous avons aussi envisagé et mis en place des économies en internes : dans notre façon de concevoir les expositions, moins nombreuses mais présentes plus longtemps à l’affiche, car cela nous semblait correspondre à la politique mise en place par la municipalité. J’entends évidemment les inquiétudes quant à l’augmentation des coûts généraux, qui est un réel problème : nous y faisons face également ! L’augmentation du prix de l’énergie, les conventions salariales et l’inflation, réelle, impactent considérablement le fonctionnement des municipalités. Je sais notamment que le Cirva a subi, en raison de l’augmentation impressionnante des prix de l’énergie, une multiplication par deux de son budget. Nous arrivons au bout d’un cycle concernant la fiscalité et son fonctionnement en termes de répartition des richesses. Nous constatons également avec beaucoup de tristesse que nous ne sommes ni en mesure de rattraper en si peu de temps des années de politique du renoncement, ni de nous substituer au rôle de l’État, de la région et surtout du département. Cela pourra sembler un peu démagogique de ma part, mais je l’assume : l’État consacre 413 milliards [entre 2024 et 2030, ndlr] de budget à l’armée. Ne peut-il pas augmenter ne serait-ce que minimement son budget consacré à la culture ?
C’est notamment une aide de l’État que vous préconisez pour venir en aide à Hubert Colas et éviter de perdre Montévidéo ?
Nous aurons en effet du mal à nous passer de cette aide. Je soutiens complètement Hubert Colas, il a tout à fait raison de craindre et de protester contre la dernière décision de la Cour de Cassation qui, en mai dernier, a soutenu le propriétaire et sa volonté de faire de la promotion immobilière sur ce lieu pourtant emblématique de création, de résidence et d’écriture. Beaucoup d’associations se retrouvent dans une situation similaire, et sont pourtant moins entendues. La compagnie Dodescaden fait face aux réclamations d’un autre propriétaire privé sur son lieu du boulevard des Dames. Nous devons l’accompagner dans un changement de lieu, qui implique de déménager 35 tonnes d’équipements. La mairie n’est pas propriétaire de ces lieux et n’a ni obligation, ni pouvoir sur eux. Préempter les lieux est une option délicate, surtout sans capacité d’investissement pour la restauration et la rénovation. De plus, si nous devenons propriétaires des lieux, nous devrons en vertu de l’Ordonnance de 2017 lancer un appel à une mise en concurrence, susceptible de priver Hubert Colas de ce lieu. Et nous ne voulons voir disparaître ni ce lieu, ni l’association, ni le festival. Nous travaillons donc à des solutions en collaboration avec la Drac, la région et le département, qui impliqueraient de conserver une partie du lieu, ou d’investir de façon plus pérenne la Cômerie, des écoles désaffectées le temps de trouver mieux… Notre obligation vis-à-vis de Montévidéo n’est pas juridique : elle est morale et politique. Et il serait criminel, et contraire à notre conception de l’art et de la culture, d’assister les bras croisés à sa disparition. Nous nous battrons.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA