Elle a derrière elle une carrière éblouissante qu’elle continue d’assurer malgré son grand âge. Le théâtre l’a toujours tenue debout, mais à quel prix ! Elle s’appelle Edwige. Face à elle une jeune femme de 25 ans travaille sur une longue tirade de Phèdre ; elle s’investit, dégorge ses émotions, en vain… Un silence avant la tempête. Edwige grimpe à l’assaut des alexandrins de Racine, les dépèce, les magnifie. Le texte prend alors une consistance que la jeune comédienne ne pouvait pas soupçonner, prétextant que cette marâtre est trop éloignée d’elle, que ses passions ne la concernent pas… Edwige lui dévoile des secrets, sculpte la chair de ce texte magnifique qui élève l’individu, comme le font tous les grands classiques.
Conflit de générations
Gil Galliot, l’auteur, cumule les fonctions de metteur en scène, de comédien, de professeur. Il a confié à Bérengère Dautun un rôle-miroir où s’entrelacent des éléments de sa propre vie avec des événements qui pourraient toucher n’importe quelle comédienne. Il frappe fort avec Madame Dautun. Elle a marqué de son empreinte tant de rôles du grand répertoire à la Comédie-Française et ailleurs. Elle est ici impériale, voix grave oscillant entre éclats rageurs et émotions chuchotées face à Clara Symchowicz tout en blondeur, en doutes, en espoirs… L’apprentie comédienne se nourrit des conseils de son aînée, se rebiffe parfois, capitule souvent. Il rôde dans Ma vie en aparté un mystère, une blessure qu’Edwige verrouille jalousement avant de donner sa clé à la jeune femme. Devoir de transmission ou soulagement de confier une plaie encore béante ? Quel contentement de mettre enfin des mots sur les conflits de générations qui, au théâtre comme ailleurs, se résolvent par un riche dialogue. Un texte si foisonnant qu’on ne demande qu’à le réentendre, des comédiennes équilibristes sur le fil des mots, cela suffit largement à parler d’un théâtre trois étoiles.
Jean-Louis Châles
« Ma vie en aparté » est donné jusqu’au 29 juillet au théâtre des Trois-Soleils.