Pour la dernière soirée, Abdel Rahman El Bacha interprétait sous la conque acoustique les ultimes mesures d’un mois de découvertes et d’enchantements. Une première partie était dédiée à Robert Schumann, florilège des Feuilles multicolores, courts médaillons polychromes auxquels répondait une version particulièrement heureuse des Kreisleriana, inspirée d’un personnage d’Hoffmann : Kreisler est un étrange maitre de chapelle que l’odeur des œillets perturbe au point de le faire délirer. Capable de s’acheter un vêtement en couleur do dièse mineur doté d’un col en mi majeur, il cherche à se suicider avec une quinte…
Le piano d’Abdel Rahman El Bacha épouse les contrastes et la folie contagieuse des Kreisleriana. L’élégance du jeu, comme détachée, laisse la musique prendre toute son ampleur.
Toujours sur le temps, la lecture fine des partitions livre l’essence même des intentions des compositeurs. Les deux Nocturnes opus 32 en si majeur puis la bémol majeur de Chopin plongent dans un clair-obscur rembranesque avant l’exécution de la Sonate n° 3 en si mineur, œuvre de la maturité composée à Nohant auprès de George Sand. Le climat changeant de cette pièce multiplie les motifs, en un style large qui s’enivre d’harmoniques et de traits brillants. À l’ampleur de l’Allegro maestoso répond la légèreté aérienne du Scherzo ; puis le caractère hypnotique du Largo avec sa rêverie empreinte de passion prépare à l’enthousiasme jubilatoire du Finale.
Généreux, l’interprète offrait en bis deux de ses propres compositions, extraites de ses Dix pièces romantiques, un Hommage à Schumann très lyrique et le tableautin Papillons. Enfin, c’est la musique de Chopin qui dessina les orbes sonores finales avec un somptueux Impromptu n° 4 en ut dièse mineur op. 66 « Fantaisie-Impromptu ».
Des chiffres
Le nouveau président du Festival, Jean-Louis Blanc, donnait les chiffres de cette belle édition : 132 propositions artistiques dont 53 gratuites, 498 artistes invités, 11 scènes, 12 jeunes musiciens invités en résidence, 65000 entrées dont 55% issues de la région Paca. Bref, le niveau des meilleures années est retrouvé. René Martin, son directeur artistique, promet de nouvelles surprises pour 2024…
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 20 août dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron