Il y a désormais deux ans, le public de l’Opéra de Marseille découvrait, hors les murs des Théâtres, un Bourgeois Gentilhomme onirique et opulent. Revenu sur ce plateau en cette fin novembre pour y camper un autre archétype made in Molière, Jérôme Deschamps livre cependant une lecture bien moins lumineuse de L’Avare. On retrouve certes les motifs et obsessions chères au metteur en scène : les rôles travestis ou très bouffes d’Yves Robin, ou encore les improvisations joliment boulevardières de Lorella Cravotta en Frosine ou de Bénédicte Choisnet, fringante Élise ; la bonhommie de Vincent Debost en Maître Jacques ou de Fred Epaud dans les rôles d’Anselme et de Brindavoine. Le goût pour le mélange des tons est encore ce qui fonctionne le mieux dans cette distribution unissant le tragique outré, et donc hilarant, d’Aurore Lévy dans le rôle de Mariane ou même de l’outré Cléante de Stanislas Roquette. Sans oublier la méchanceté et la folie qui semblent guetter Valère, qui devient, sous les traits de l’impressionnant Geert Van Herwijnen, un des personnages les plus fascinants de la pièce, là où tant d’autres l’auront simplement dépeint comme un pleutre, ou un arriviste.
Désamour et trahison familiales
Ce joyeux mélange de tons laisse tout le loisir à Jérôme Deschamps de camper, sur un mode de jeu qui ne semble appartenir qu’à lui, cet Harpagon plus décalé et en proie à une certaine réalité que réellement cruel. Mais Harpagon n’a ici plus rien de l’émerveillé Monsieur Jourdain ; les costumes de Macha Makeïeff sont élégamment outrés et colorés, mais le décor demeure vide, au grand dam de comédiens heureusement aptes à faire entendre leur voix sur le large plateau de l’opéra. Un certain malaise s’installe dans cette chronique de désamour et de petites trahisons familiales, que la gaieté de la scène finale ne balayera jamais complètement. L’austérité demeure, sous les oripeaux de la comédie, un bien triste programme.
SUZANNE CANESSA
L’Avare, mis en scène par Jérôme Deschamps, a été présenté à l’Opéra de Marseille du 29 novembre au 1er décembre dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre du Gymnase.