Pour présenter le dernier livre de Pierre Singaravélou lors d’une table ronde organisée au Musée d’Histoire de Marseille par l’association Ancrages, en partenariat avec le Mucem, l’historien spécialiste des empires coloniaux était aux côtés de Guillaume Calafat, spécialiste du monde méditerranéen à l’époque moderne, ainsi que d’Aurélia Dusserre et Catherine Atlan, membres du projet Mars-Imperium.
Pierre Singaravélou est tout d’abord revenu sur le projet de ce livre de plus de 700 pages consacré à l’histoire de la colonisation et destiné à un large public. En mobilisant plus de 250 contributeurs de tout l’Hexagone, des Antilles, et d’autres pays (Royaume-Uni, États-Unis, etc.), ce volume entend embrasser le fait colonial français dans une perspective pluridisciplinaire et décentrée. Le pluriel du titre vise par ailleurs à interroger la diversité des rapports de domination coloniale et postcoloniale dans le monde. L’organisation à rebours de l’ouvrage, qui commence à la période contemporaine pour se terminer aux prémices de la colonisation, combat également la tendance de l’histoire traditionnelle à assigner une finalité aux événements, ainsi que l’idée selon laquelle la colonisation française commencerait avec la prise d’Alger de 1830.
Cette élaboration d’une histoire du fait colonial français à l’échelle du monde s’inscrit dans le sillage du courant récent de la « micro-histoire globale », héritier de la micro-histoire italienne et de l’histoire globale. En apparence paradoxale, cette démarche consiste à étudier, à partir d’un fait, les interconnections avec d’autres espaces et d’accéder à une échelle globale de l’histoire. Les acteurs de Mars-Imperium, qui s’intéressent aux vestiges de l’histoire coloniale à Marseille pour penser le fait colonial, s’inscrivent tout à fait dans cette perspective.
L’histoire d’une rencontre
Ces réflexions ont été poursuivies à l’occasion de deux journées d’étude organisées au Mucem les 31 janvier et 1er février autour de l’exposition « Une autre histoire du monde » dont Pierre Singaravélou est un des commissaires. Plusieurs spécialistes ont nourri les interrogations amorcées la veille, comme Céline Regnard, qui souligne que la Méditerranée, espace de connexions multiples, a façonné les approches de l’histoire globale. Christian Grataloup, lui, rappelle la nécessité de déconstruire l’histoire coloniale, préférant le terme de « connexion » à celui de « découverte » pour parler de la rencontre que fait l’Europe de l’Amérique à la fin du XVIe siècle.
Une table ronde consacrée aux « coulisses » de l’exposition a ensuite permis à ses commissaires de revenir sur sa genèse : au thème initial de la colonisation a été préféré le défi de proposer une histoire du monde affranchie du prisme de la colonisation, en rendant compte de la manière dont les sociétés non européennes ont raconté leur histoire. L’œuvre de Chéri Samba (La Vraie carte du monde, 2011), qui présente un planisphère retourné, est à ce titre emblématique. Les cartels eux-mêmes reflètent cette ambition, utilisant la projection de Fuller, représentation du monde non européanocentrée, en rupture avec le planisphère hérité de Mercator.
Enfin, plusieurs spécialistes du monde des musées (Nanette Snoep, Nathalie Bondil, Sarah Ligner) ont décliné cette question de la mondialité en histoire de l’art, ainsi que Léa Saint-Raymond, autrice de Fragments d’une histoire globale de l’art (Rue d’Ulm, 2022). Ce souci d’adopter une muséographie affranchie de la geste coloniale hante les musées d’aujourd’hui, et le dispositif participatif de la fin du parcours de l’exposition, proposant au visiteur de devenir lui-même un objet « sous cloche », en est une des réponses ludiques que l’on ne peut qu’inviter à aller expérimenter jusqu’au 11 mars prochain.
MATHILDE MOUGIN