Nous sommes à New York dans la cuisine du Gril, resto populaire près de Time Square. On y entre par un long couloir, à la suite d’Estela (Anna Diaz), jeune immigrée, mexicaine comme le réalisateur. Elle connaît Pablo (Raúl Briones Carmona) un gars de son village, devenu cuisinier. Elle espère un job qu’elle obtient sur un malentendu.
Dès lors, on plonge dans le ventre de l’établissement comme les homards ligotés dans leur aquarium. Découvrant comme elle – qui ne parle ni ne comprend l’anglais – la fébrilité du service organisé par catégorisation des tâches et spécialités culinaires. Le ballet incessant des serveuses. La hiérarchie managériale paternaliste et féroce. La diversité des langues des employés, clandestins pour la plupart, qu’on exploite et à qui on promet des papiers et l’Amérique. Une très belle scène les réunit à la pause dans la rue à l’arrière des cuisines, près des poubelles. Chacun révèle son rêve, parfois déjà brisé. Entre eux se nouent des amitiés, des complicités, fermentent des inimitiés, des jalousies. Des drames humains se jouent là, suggérés ou développés. Des fils narratifs comme l’accusation de vol du fantasque Pedro par le gérant. Ou la romance du cuisinier mexicain et de Julia (Rooney Mara) une serveuse américaine. Flirt et jeux amoureux entre deux portes. Fantasme d’une vie possible dans un pays « qui n’existe pas ».
Sauvage
La Cocina d’Alonso Ruizpalacio nous propose de virtuoses plans séquences dans le rythme effréné du travail. L’intensité du film, écrit comme une partition, passe par les syncopes, les ruptures de rythme et de registres, les effets visuels. Et, la violence contenue explose parfois en apothéose. Car le Gril est un ring à l’image de la société. Film en noir et blanc (mention spéciale au directeur de la photographie Juan Pablo Ramirez), La Cocina met en scène le capitalisme sauvage, se rapprochant de films américains comme On achève bien les chevaux. Sa chorégraphie du chaos quand l’ordre du restaurant bascule brusquement dans la folie, rejoint celle des grands burlesques du Muet.
On pense aussi à Ruben Östlund pour la fable politique se libérant du réalisme par l’excès, la stylisation, la métaphore. Inspiré de la pièce du britannique Arnold Wesker, La Cocina est un film sur l’Amérique et sur tant d’autres endroits où « Un peu d’humanité ne ferait pas de mal » comme le dit une employée du Gril à son patron.
ÉLISE PADOVANI
À Berlin
La Cocina, d’Alonso Ruizpalacio
En salles prochainement