Zébuline. Pourquoi le choix de Perec et de L’homme qui dort en particulier, publié en 1967, année où l’auteur deviendra membre de l’Oulipo ?
Alain Simon. Il y a longtemps que Perec me plaît et que je le travaille. J’adore son écriture, sa manière de prendre des risques là où les gens n’en prennent pas et inversement, et le suspens qui sous-tend L’homme qui dort. Comme aucune transformation du texte n’était possible avec les ayants-droits, j’ai conservé le texte à la virgule près. J’ai tout de même dû couper, conservant un quart du texte pour une représentation de 57 minutes. Sa méticulosité à décrire m’a beaucoup aidé dans mon approche.
Vous unissez lecture et danse dans cette création…
La lecture des romans m’intéresse. J’ai voulu que ce texte serve une autre de mes passions, la danse. Ce sont deux langages à part entière qui se suffisent. J’ai eu la curiosité de remplacer la musique par le texte. Attention, je ne souhaite absolument pas que ce qui se passe sur le plateau appartienne à un genre hybride. Je préfère parler d’intersection, comme dans la mathématique des ensembles : essayer de trouver l’endroit où les deux langages se recoupent, se rejoignent, là où les entités parlent ensemble. Il n’y a pas d’accompagnement : le texte n’accompagne pas la danse et réciproquement. L’accompagnement induit une subalternité. Je préfère le « être avec ». Je dois avouer mon sentiment de victoire lorsque le danseur et chorégraphe Léonardo Centi m’a demandé « est-ce que l’on peut mettre la musique un peu plus tôt ? ». Il travaille sur le texte comme sur de la musique… Si c’est réussi, émergera dans la danse un personnage de théâtre.
Le texte est vécu comme une partition ?
Oui, j’y ai des annotations quant aux rythmes, aux timbres… il y a très peu de silences du texte. Le silences de théâtre sont endossés par les immobilités du danseur. La musique est un endroit de repère, c’est ce que devient le texte, fil jaune du spéléologue. Dans le texte de Perec, il y a une voix intérieure, un « tu », qui peut être un sur-moi, un commentaire off… intéressante dualité entre l’adresse au personnage et la voix intérieure. L’indétermination et la précision sont indispensables : la vacuité de sens sert au public pour se projeter et la précision est l’indice de l’existence de la réalité. Nous gardons, le danseur Léonardo Centi, l’assistante à la chorégraphie, Emmanuelle Simon, le créateur lumières Simon Fieulaine, et moi un esprit de recherche. Et c’est passionnant.
MARYVONNE COLOMBANI
L’homme qui dort
Mis en scène par Alain Simon
13 mars
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence
theatre-des-ateliers-aix.com