Les langues vivantes doivent beaucoup aux artistes qui l’utilisent, l’animent, en jouent. Dans son discours annonçant la troisième édition de « Une année, un auteur », le conseiller régional Jean-Pierre Richard rappelle que le provençal est une langue qui a été construite et codifiée par Frédéric Mistral. En défendant cette langue et les traditions provençales, le natif de Maillane a inscrit la Provence dans un imaginaire auquel nous nous référons toujours aujourd’hui. Le directeur de l’Observatoire de la langue et de la culture provençales Terry Chabert le rappelle, cette année est celle d’un triple anniversaire : les 110 ans de la disparition de Mistral, les 120 ans de son prix Nobel et les 170 ans de la création de son association Félibrige vouée à la défense de la langue et de la culture provençale. Pour l’occasion, une pièce de théâtre inédite mise en scène par Gérard Gelas et parrainée par Jean Reno débutera dès cet été et tournera dans tout le territoire. Quant au reste des projets, c’est surtout la structure Félibrige qui s’en charge, aux côtés des villes et des associations locales. Le président du Félibrige Paulin Reynard déclare que le but de son association est d’enrichir la langue provençale, de créer autour de celle-ci et de la partager, pas uniquement régionalement mais aussi nationalement. Il affirme que le provençal est une langue vivante et qu’elle n’a pas fini de faire parler d’elle. C’est d’ailleurs le thème du premier événement s’intitulant : « À 170 ans, non, le Félibrige n’a pas tout dit ! » qui se déroulera à Gréoux-les-Bains. L’année labellisée Frédéric Mistral par la Région peut se résumer en un souhait qu’exprime Jean-Pierre Richard en reprenant les mots provençaux de Mistral, traduisibles ainsi : « nous la garderons coûte que coûte, notre belle et rebelle langue d’Oc ».
Prendre garde aux vents contraires
La figure de Frédéric Mistral peut nous fédérer autour d’un socle commun de traditions provençales qui s’inscrivent plus largement dans notre patrimoine français. À cet égard, Jean-Pierre Richard souligne que le poète a obtenu un prix Nobel de littérature qui l’a fait reconnaître nationalement et internationalement en tant que grand écrivain français. Cependant, l’héritage mistralien divise aussi, au sein de la lengo nostro. La langue d’Oc a deux écoles, deux graphies : l’une dite provençale ou mistralienne et l’autre dite occitane ou classique. Les deux courants sont souvent en désaccord et il faut prendre garde à ce que cette année Mistral ne devienne pas le théâtre de querelles linguistiques contreproductives. La langue d’oc, quels que soient ses variantes (languedocien, provençal, alpin, auvergnat, limousin, gascon etc.), souffre de la même perte de vitesse et a plutôt intérêt à faire front commun pour perdurer.
Et plus récemment le nom de Mistral s’est vu rattaché à des contentieux juridiques. L’entrepreneur Vianney d’Alançon, devenu membre du Félibrige en 2022, vient d’être condamné à remettre en l’état l’extérieur du château de la Barben dont il se servait illégalement pour son parc à thème provençal du Rocher Mistral. Or ce parc d’attraction a reçu plusieurs millions d’euros de subventions de la part des différentes collectivités. De plus, des historiens comme Xavier Daumalin redoutent un « projet politique » derrière le Rocher Mistral, à la manière du Puy du Fou dont les distorsions historiques à visées idéologiques ne sont plus à prouver [lire notre entretien avec Xavier Daumalin]. Jean-Pierre Richard déclare néanmoins « attendre pour voir » – Vianney d’Alançon a fait appel – tout en affirmant que le parc suit une ligne historique sans « erreurs fondamentales » et que « la représentation en matière de culture et de langues régionales tient la route ». On compte en tout cas sur la Région et le Félibrige pour que cette année prometteuse ne soit pas entachée par de telles polémiques.
RENAUD GUISSANI
Une année un auteur : Frédéric Mistral, inventeur de la Provence
Jusqu’au 13 décembre
Région Sud