« Nous achevons notre deuxième saison de concerts. Un long chemin a été réalisé et c’est grâce à votre soutien ». Agnès Viotollo, présidente de la Société marseillaise des amis de Chopin est émue. La Smac, qu’elle a fondé avec Yann Barbizet, fils du grand pianiste dont le Conservatoire de Marseille porte le nom, a donné en deux ans une vingtaine de concerts avec une programmation dédiée au piano. En clôture de saison à la salle Musicatreize de Marseille, elle accueille Marie-Ange Nguci, accompagnée par un quintette à cordes : le quatuor Elmire. Avec David Petrlik et Yoan Brakha aux violons, lafougueuse Hortense Fourrier à l’alto, le tout jeune violoncelliste Rémi Carlon et Yann Dubost, contrebassiste solo de l’orchestre de Radio France.
Au programme, du Chopin, avec le Concerto n°1, op. 11 et le Concerto n°2, op. 21 en transcription pour piano et cordes. « Ces transcriptions étaient courantes à l’époque de Chopin, explique Agnès Viotollo, le compositeur les affectionnait car “traqueux” il détestait les grandes salles et préférait la musique de salon ». Ces deux concertos composés en 1829 et 1830 ont été écrits à un moment crucial de sa vie, alors qu’il quitte sa Pologne natale qu’il chérit pour se rendre à Paris.
Le quatuor introduit la première œuvre suivie par la contrebasse. À l’entrée du piano, les cordes s’arrêtent puis reprennent dans une danse alternant pizzicatos et légatos à l’archet. La jeune pianiste semble faire corps avec son piano et avec le quintette comme un ensemble composé d’un seul cœur, impression amplifiée par le pizzicato métronomique de la contrebasse qui semble des battements. Les moments d’intensité romantiques laissent place à des instants d’alégresse, évocation sans doute de Mazurkas traditionnelles allant même parfois flirter des sonorités tsiganes presque jazz sans doute liés au jeu ténu et exigeant de Yann Dubost.
Prodigieuse
Née en Albanie, Marie-Ange Nguci est un petit prodige, entré dans la classe de Nicholas Angelich au Conservatoire de Paris à l’âge de 13 ans. Elle a depuis enchaîné les prix et les concerts dans des festivals internationaux prestigieux, elle joue aussi de l’orgue et du violoncelle, parle sept langues et n’a que… 26 ans.
Si on ne devait retenir qu’un adjectif pour décrire son jeu, ce serait « fluidité » qui entraîne son jeu des ruisseaux les plus limpides, aux cascades cristallines en passant par des fleuves déchainés. Les notes, qu’elle retient jusqu’à l’extrême limite de chaque temps comme dans un dernier soupir, touchent droit à l’âme. À La fin de chaque mouvement, le silence est total, les respirations suspendues. Marie-Ange propose un Chopin corporel et engagé bien loin des propositions parfois éthérées voulant refléter l’esprit d’un musicien romantique et souffreteux. Au point d’orgue, la salle est en délire.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Concert donné le 6 juillet à la salle Musicatreize, Marseille.