Tu ne frapperas pas. Ce commandement, pourtant essentiel, n’existe pas dans la Bible. Le monologue de Redwane Rajel l’invente en actes, et bouleverse par l’absence de plaisir, d’esthétique, de ses évocations de la violence, et l’incroyable joie de son regard et de ses mains qui s’ouvrent lorsqu’il parle du théâtre. Comme une évidente rédemption terrestre, permise par le contact avec l’art dramatique, qui résonne en lui avec les jeux de rôles qu’il vivait chez sa « tatie », qui l’aimait comme « un prince ».
Le texte, coécrit avec Bertrand Kaczmarek et Enzo Verdet, retrace la vie de ce condamné « longues peines ». Celui qui est aujourd’hui comédien professionnel, coach efficace et attentif de stand-up, fut bouleversant dans le Macbeth d’Olivier Py ou le Marius de Joël Pommerat, aussi parce qu’il laissait transparaitre, au-delà de ses personnages, la violence, la culpabilité, l’horreur de l’enfermement, le désir fou de liberté. Revenir sur son parcours, évoqué dans chacun des articles qui lui sont consacrés, permet de saisir intimement l’essence de cette phrase qu’Enzo Verdet, metteur en scène du spectacle et assistant d’Olivier Py dans ses projets carcéraux, lui adressa lorsqu’il ne parvenait pas à incarner Macbeth : « Tu es là pour montrer que les monstres n’existent pas ».
Renoncer, sous tous les angles
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », écrivait déjà Térence en des temps antiques. Et l’homicide ? S’il ne le raconte jamais directement, pas plus que son procès, c’est bien à un examen sans fard qu’il procède, reflété de tous les côtés dans les miroirs qui, avec un banc rouge, sont le seul décor. L’acteur commence par le récit de sa garde à vue, de ses premiers jours, des premiers coups, puis de l’isolement, la drogue, la violence qu’il exerce sur lui-même, le corps qu’il endurcit par des courses sur place, des entrainements de boxe qui l’aident à tenir le coup, juste assez pour ne pas sombrer. Entre ces scènes, le récit d’une enfance sans homme où il a dû grandir trop vite, mais où « tatie » lui a ouvert la voie de l’imaginaire. Puis la boxe, la légion, autant de lieux, de corps à corps, où il faut frapper pour être un homme, défilent. Comme le parcours d’un enfant qui se doit d’être viril pour exister.
Jusqu’à la rencontre, en prison, du théâtre. Au moment même où il l’évoque son corps se détend, ses muscles s’adoucissent, son débit se fait plus fluide, sa voix s’éclaire et s’enrichit de timbres insoupçonnés. Les paysages traversés, les personnages joués, tout défile, et sa véritable libération n’est pas le jour de sa levée d’écrou mais celle où il ne répond pas à la provocation d’un détenu qui veut en découdre. Il suffit de s’excuser, d’esquiver la bagarre, refuser le combat, sortir du paternalisme viriliste qui fait des hommes des monstres, qu’ils (et elles aussi parfois) peuvent tous devenir.
Redwane Rajeb explique qu’avec ce spectacle il veut simplement « rendre ce qui lui a été donné ». Bien au-delà, il nous montre comment les hommes (96% des criminels sont des hommes) pourront changer la société : en renonçant au virilisme qui la façonne, pour se laisser accéder à la joie d’exprimer sans violenter.
AGNES FRESCHEL
À l’ombre du réverbère
Jusqu’au 21 juillet à 21h30 (relâche le mardi)Théâtre Transversal, Avignon