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Un opéra pas snob pour deux sous

Thomas Ostermeier présente un « Opéra de Quat’sous » qui ne manque pas de piquant, malgré une partie musicale parfois frustrante.

On se souvient du silence critique poli qui avait suivi, en 2019, le Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny présenté au Grand Théâtre de Provence. La mise en scène pourtant tout à fait efficace et cohérente d’Ivo van Hove, et la direction musicale comme toujours irréprochable d’Esa-Pekka Salonen, n’avaient pas suffi à séduire un public rebuté davantage par la misanthropie et l’ancrage politique du propos de Brecht et Weill que par la teneur musicale et artistique de l’opus. Quatre ans plus tard, une édition marquée par un fort désir de théâtre fait de L’Opéra de Quat’sous un de ses temps forts, d’autant plus marquant qu’elle marque l’entrée de l’œuvre au répertoire du festival.

On change ici radicalement de stratégie : il n’est plus question de rappeler que cette œuvre hybride compte parmi les plus importantes de l’Histoire récente de l’Opéra, mais de se replonger dans le propos si précurseur du Brecht des années 1920. Si ce choix pourra sembler quelque peu injuste vis-à-vis d’un Kurt Weill trop souvent relégué au second plan, force est de constater que le propos de Thomas Ostermeier ne manque ni de piquant, ni d’intérêt. Se reposer sur les talents incontestés de la Comédie-Française et sur la formation musicale tant vantée – plutôt à tort – de ses interprètes n’était peut-être pas le pari artistique le plus sûr. On reste effectivement, musicalement et surtout vocalement parlant, quelque peu sur sa faim.

De bon ton

Mais les qualités d’interprétation d’Elsa Lepoivre, Jenny au phrasé nonchalamment désespéré, ou du Macheath de Birane Ba, charmeur mais également porteur d’une réelle inquiétude, évacuent très vite ces frustrations. De même que l’abattage des parents Peachum, incarnée avec une joie tangible par Véronique Vella et Christian Hecq. La toute jeune Marie Oppert tire son épingle du jeu : sa Polly est peut-être l’incarnation la plus convaincante de l’esthétique cabaret recherchée, dans la puissance et le volume de sa voix comme dans l’outrance volontaire du jeu. La force comique de Benjamin Lavernhe, Tiger Brown pleutre prompt à toutes sortes d’improvisation, insuffle au tout une bonne humeur et un sens du rythme bienvenus.

Mais si cet Opéra de Quat’sous parvient souvent à convaincre, c’est avant tout dans sa capacité à convoquer le ton, désabusé mais sincère, du théâtre d’alors. Le texte, retraduit en français pour l’occasion, les appels du pied au public, et la présence sur scène du chœur Passerelles désacralisent intelligemment cette cour de l’Archevêché qui nous sembla si souvent éloignée des préoccupations du monde du théâtre – et même du monde tout court – d’aujourd’hui. Bertolt Brecht ne nous disait, au fond, pas autre chose : rien n’est sérieux, et pourtant tout l’est, dans cet opéra traitant ses personnages à la fois avec tendresse et dédain, et son intrigue avec distance et sincérité. Sur ce fil-là, ténu, entre farce, générosité et confiance envers le spectateur, ce théâtre demeure plus précieux que jamais.

Suzanne Canessa

« L’Opéra des Quat’sous » est donné jusqu’au 24 juillet au Théâtre de l’Archevêché.

Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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