En 2025, dans la prestigieuse maison de haute-couture Beliana à Paris, la joie est à son comble. La première d’atelier Marion Nicolas et ses modélistes viennent d’obtenir une exclusivité historique : la confection de la future robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Une tâche ambitieuse, mais dont l’ampleur est telle que le voile se déchire, révélant le malaise d’une profession qui infuse jusque dans la vie privée des employés. Le spectacle Lacrima de Caroline Guiela Nguyen, « les larmes » en latin, présenté depuis le 1er juillet au gymnase du lycée Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon, dépeint la tragédie de ceux qui dévouent leur existence à habiller les autres.
Dans la peau des travailleurs du tissu
Si toute ressemblance avec des personnes existantes est fortuite, comme en informe un message projeté au début, celles qui ont inspiré la pièce sont bien réelles. Les dentellières d’Alençon chargées du voile de la mariée côtoient les brodeurs d’un atelier de tissus à Mumbaï, qui en confectionnent la matière première, et des modélistes d’une maison de haute-couture à Paris qui en imaginent le patron.
Dans des espaces scéniques correspondant aux différents lieux, qui tantôt se superposent sur un même plateau, tantôt sont uniques, changés à vue, les tâches à accomplir défilent. À cette mise en scène répond un dispositif technologique de production de cinéma : chaque lieu a sa lumière et son ambiance et les acteurs y évoluent, filmés par des caméras, au plateau comme en coulisses. Les images sont retransmises sur un écran divisé en trois parties, dans l’optique de visibiliser tous les récits et les gestes d’un savoir-faire.
Le secret et les larmes
L’autrice a choisi de mettre en scène ses acteurs dans plusieurs rôles, intriquant les destins de tous ces employés, liés par une même clause de confidentialité. Ce secret protocolaire silencie les conséquences des caprices hors-sol du milieu de la haute couture : délais intenables, nombre d’heures de travail incalculables, problèmes de santé autant physiques (la cécité), que mentaux (burn-out), secrets de famille encombrants. Le spectateur retient son souffle, redoutant un dénouement malheureux. Trois parcours de vie personnifient ces difficultés : celui de Thérère, dentellière à Alençon, d’Abdul Gani, brodeur à Mumbaï et de Marion Nicolas qui se débat entre la pression professionnelle et une vie familiale qui se délite, et finit par tenter de se suicider.
Le spectacle se conclut par cet adage : « On dit qu’en Chine, il ne faut jamais défaire un tissu de soie parce que chaque fil renferme les larmes de l’époque. » Sensibiliser le public à la préciosité d’un vêtement, tel était le souhait de Caroline Guiela Nguyen. Pari tenu.
CONSTANCE STREBELLE
Lacrima a été donné jusqu’au 11 juillet dans le Gymnase Aubanel, Avignon