La tâche du Jury de la 46e édition du CINEMED, présidé par la réalisatrice, scénariste Katell Quillévéré, n’a pas dû être facile car les 8 fictions présentées en compétition, très différentes, avaient toutes d’indéniables qualités. C’est au film du Palestinien, Mahdi Fleifel, To a Land Unknown qu’ils ont attribué le grand prix : l’Antigone d’or. Un film, témoignage d’une réalité cruelle et universelle.
Reda et Chatila
Ils sont palestiniens et viennent d’un camp de réfugiés au Liban : deux cousins, Chatila (Mahmood Bakri) et Reda (Aram Sabbagh), toujours avec son skate-board. Ils habitent dans un squat à Athènes et rêvent de pouvoir partir à Berlin. Mais sans papiers et sans argent, peu de chance d’y arriver. Il s’agit donc de s’en procurer. Les deux cousins multiplient les combines, promeneurs qu’on arnaque dans les parcs, vol de chaussures dans les magasins et revente, prostitution parfois. La somme d’argent qu’exigent les passeurs est d’autant plus difficile à obtenir que Reda a une fâcheuse tendance à se défoncer et à dilapider l’argent péniblement amassé. Chatila le plus responsable des deux, met consciencieusement de côté leurs gains car il espère pouvoir faire venir plus tard en Allemagne sa femme et son fils qui vivent encore dans un camp libanais. Il pique régulièrement des colères contre Reda, qui reste toutefois sa seule attache dans cette ville. Avec Malik (Mohammad Alsurafa), un jeune garçon de 13 ans, abandonné en Grèce et qui voudrait rejoindre sa tante en Italie, ils partagent quelques moments chaleureux, les seuls de cette vie de galère. Mahdi Fleifel les suit dans leur errance, dans une ville aux ruelles taguées, sales, loin des lieux emblématiques, dans des squats où s’entassent tous ceux qui sont là et voudraient partir, et que la caméra de Thodoris Mihopoulos filme, révélant leur misère.
Thriller nerveux
Mahdi Fleifel s’est inspiré de faits réels, d’histoires vécues pour réaliser ce premier long métrage de fiction. « Athènes me rappelait Beyrouth » a précisé le cinéaste, né à Dubaï, élevé dans le camp libanais d’Ain el Helweb qu’il avait évoqué dans son documentaire A World Not Ours en 2012. Quant à Chatila et Réda, superbement interprétés, ce sont George et Lennie, les personnages de Des Souris et des hommes de John Steinbeck, qui les ont inspirés : Mahdi Fleifel nous les a rendus attachants malgré leurs errements et leurs méfaits. « Chatila, on est des monstres ! » reconnait Reda. Et comme le récite Abu Love, un des personnages, citant des vers de Mahmoud Darwich « Tu n’as pas de frères, mon frère, pas d’amis, mon ami, pas de citadelle, pas d’eau, pas de médicaments […] Dans cet espace ouvert aux ennemis et à l’oubli, fais de chaque barricade un pays. ». Ils nous font sourire aussi parfois, surtout Réda qui accumule les bêtises. À travers eux, le cinéaste parle bien évidemment du destin des Palestiniens, sanslourdeur, dans un rythme rapide, tel un thriller nerveux, ponctuant son film de moments à la limite du comique.
« Lorsque nous avons entamé ce projet, les événements en Palestine venaient de reprendre. Cela a eu un impact profond sur nous tous, (…) Nous avons réalisé qu’il n’y avait rien à dissimuler. Nous avions le choix entre rester passifs, figés devant les informations, ou bien investir corps et âme dans la réalisation de ce film » a déclaré le réalisateur au moment de sa présentation à la Quinzaine des cinéastes à Cannes.
Un film qui résonne encore plus fort en cette période.
ANNIE GAVA
Sortie en salles le 12 mars 2025