Zébuline. Comment avez-vous réagi en apprenant cette décision ?
Aymeric Seassau. Ces annonces sont extrêmement brutales, puisque des compagnies, des lieux, des événements, des festivals, sont confrontés à des ruptures nettes de financement régional dès 2025. Ils vont être contraints de prendre des mesures importantes, si nous n’arrivons pas à conjurer la catastrophe qui s’annonce.
Et les acteurs culturels ?
Le monde culturel à Nantes et dans le Pays de la Loire est passé de la stupéfaction à l’action. Avec la mobilisation la plus massive qu’on ait vue ces dernières années, rassemblant syndicats d’employeurs, de salarié·e·s, directeurs·ices, et d’artistes qui prennent la parole. Des élu·e·s se mobilisent aussi évidemment, pour essayer d’empêcher l’irréparable.
Pensez-vous que la présidente et sa majorité iront jusqu’au bout ?
Pour l’instant, on se mobilise pour faire savoir ce à quoi conduiront ces choix. Je pense que la présidente de région est mal conseillée, voire mal informée, peut-être les deux. Elle dit que sa priorité est l’emploi et la jeunesse, mais elle est en train d’organiser un plan social dans l’emploi culturel, et au-delà, à tous les métiers prestataires (les techniciens, la sécurité…), on pense aussi aux commerçants, aux hôteliers etc.
Elle parle aussi beaucoup de la jeunesse, mais en réalité, quand le conseil régional finance des événements ou des structures culturelles, il leur demande – et c’est bien normal – d’intervenir dans les lycées puisque c’est une compétence régalienne de la région. Les lycéens et la jeunesse seront les premières victimes d’un assèchement de la vie culturelle. Enfin, elle dit vouloir se resserrer sur ses compétences obligatoires, il faut lui rappeler que dans les derniers textes de loi, la culture reste une compétence partagée, la région a donc une responsabilité pour soutenir cette chaine économique si utile, puisque c’est une des conditions nécessaires à toute société démocratique.
Attendez-vous une réaction de la part du ministère de la Culture ?
Nous attendons que chacun s’exprime. La région Pays de la Loire nous explique qu’elle est confrontée à des difficultés budgétaires, mais c’est le cas de toutes les collectivités locales, et c’est la seule en France qui s’en prend violemment à tous les acteurs culturels, qui sont insulté·e·s voire méprisé·e·s.
Un tweet d’une violence rare
C’est par un message délivré sur le réseau social X que Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, s’est justifiée de ses décisions budgétaires. Elle parle de la culture comme d’« un monopole intouchable », constitué d’« associations très politisées, qui vivent d’argent public ». Arguant que le modèle culturel devait « se réinventer », puisque dépendant des subventions publiques. N.S.
Connaît-on déjà les acteurs qui seront les plus touchés par ces coupes ?
Cela dépend de la part de financement de la région. On parle de la fermeture de la Maison Julien-Gracq, qui a tant parlé de cette région, qui l’a tant mise en récit. De l’arrêt de la revue littéraire 303, de l’événementiel dans le cinéma, et de tous les financements complémentaires qui étaient apportés sur l’ensemble des institutions ou lieux culturels. Au moment ou je vous parle [le 22 novembre, ndlr], je ne sais pas si l’Orchestre national des Pays de la Loire sera en mesure de produire des spectacles l’année prochaine.
Dans son tweet de justification [lire encadré], la présidente parle d’associations « très politisées »… faut-il y voir une vengeance politique de sa part ?
Je pense qu’elle devrait regarder le public qui va dans les salles, où il y a évidemment toutes les obédiences politiques confondues. Quitter La Folle journée – dont la billetterie ouvre dans quelques jours – c’est se couper du plus grand événement européen de musique classique, et je crois savoir que son public est très divers, on y retrouve des gens de gauche comme de droite…
Croise-t-on Christelle Morançais dans ces événements culturels ?
Non, la région déserte toutes les manifestations culturelles. Ils ne viennent plus aux inaugurations.
On apprend dans le journal en ligne Médiacités qu’elle a récemment engagé un photographe personnel pour la suivre dans tous ses déplacements, au moment même où elle supprime 100 postes de fonctionnaires.
Oui, on a une région obsédée par la communication. Mais là où elle se trompe, c’est que la vie culturelle à l’échelle d’une région permet de mettre en récit tout un territoire… sûrement mieux qu’un photographe personnel.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI
Même tarif pour le sport et la vie associative
Outre la culture, c’est toute la « commission 7 », qui s’occupe également de la vie associative, du sport et de l’égalité femmes-hommes, qui va être touchée par ces coupes budgétaires. Dans un communiqué du 22 novembre, le Planning Familial 44 s’alarme après avoir appris que le conseil régional envisageait « la suppression pure et simple des subventions versées […] dès 2025 ». Quant au Fonds pour l’égalité hommes-femmes, le journal Ouest France révèle que la région va cesser, ou presque, de l’alimenter. N.S.
La culture se mobilise
Tribune, manifestations, pétition… la pression monte sur le conseil régional de Loire Atlantique avant le vote du budget ce 19 décembre
« On va mourir et même pas sur scène », « la culture n’est pas un luxe, c’est un devoir », voilà quelques-uns des messages que l’on pouvait lire ce lundi 25 novembre devant l’hôtel de région des Pays de la Loire à Nantes. Malgré la pluie, ils étaient entre 3 et 4 000 à s’être réunis à l’appel de nombreuses organisations syndicales et collectifs, pour protester contre les coupes budgétaires annoncées. Cette première manifestation signe le premier acte d’une mobilisation qui s’annonce puissante, couplée aux nombreuses prises de paroles d’artistes qui lèvent la voix.
Lancée par Catherine Blondeau (directrice du théâtre Grand T à Nantes), une pétition cumule déjà près de 50 000 signatures, dont plus d’un millier de personnalités de la culture. Des artistes (Zaho de Sagazan, Alice Zeniter, Phia Ménard…) et des professionnels de la culture (Jérôme Clément, président du festival Premiers plans ; Nolwen Bihan, directrice de TU-Nantes). Ensemble, ils dénoncent un « coup porté à la société civile tout entière », défendant un modèle culturel français « violemment attaqué par la région des Pays de la Loire, […] sous couvert de la cure d’austérité imposée aux collectivités. »
Avant elle, c’est l’écrivain sarthois Éric Pessan qui publiait une lettre ouverte dans les colonnes de Ouest France, pointant de la plume les inepties du tweet de Christelle Morançais [lire p.II] : « Vous n’êtes pas sans savoir que l’art n’est pas rentable, que la culture n’est pas compétitive, que les enjeux sont ailleurs et que sans aides publiques, les acteurs culturels qui survivront seront justement les moins aventureux, les plus consensuels, les plus lus, vus et écoutés, les plus populaires et parfois les plus populistes. »
Une présidente qui se cache
Face à la pluie d’indignations, Christelle Morançais se fait discrète. Elle a annulé tous ses rendez-vous publics prévus ces jours-ci, notamment sa « tournée des maires », invoquant des risques de sécurité : « Dans ce contexte particulièrement violent, qui se nourrit de fake news et d’attaques personnelles, je ne veux pas faire courir le moindre risque aux maires ». Pour la suite, le prochain rendez-vous devrait avoir lieu le 5 décembre, à l’occasion de la journée de mobilisation pour la défense de la fonction publique.
N.S.