Le personnage de Shéhérazade hante la réalisatrice irano-américaine Mehrnoush Alia. Elle en avait fait le sujet d’un court métrage en 2015. On retrouve en 2025, la princesse persane à Berlin dans son premier long métrage, en compétition, Section Panorama sous le titre anglais : 1001 frames (1001 cadres). Un film au dispositif radical construit en trompe l’œil, dans un crescendo dramatique, proche de celui d’un thriller.
Un réalisateur célèbre Mohammad Aghebati s’occupe du casting de son film Shéhérazade. Il veut croiser les genres du merveilleux et de l’horreur. Rien de bien surprenant si on y réfléchit ! Si Shéhérazade prend l’ascendant sur le Sultan par son intelligence et la puissance de ses récits, elle ne fait que repousser, nuit après nuit, la mort promise. Avant elle, d’autres jeunes femmes ont été sacrifiées après avoir été déflorées par le cruel souverain omnipotent.
Alia filme le décor nu d’un studio. Sol de béton, câbles, échelles et échafaudages. Au milieu du cadre, une chaise sur laquelle vont s’asseoir successivement les jeunes candidates au rôle des Vierges mortes et deux actrices plus âgées –l’ex femme et une amie du réalisateur. Celui-ci reste hors champ. A peine entrevoit-on sa jambe et son bras au 2/3 du film. On entend sa voix, ses questions, ses ordres : sourire, pleurer, se tourner, se voiler, vider son sac, se mettre à quatre pattes, faire le chat, la grenouille… Les jeunes auditionnées prêtes à tout pour obtenir un rôle se soumettent. Mais devant des directives de plus en plus dérangeantes qui leur sont données, questionnent, demandent justification, se rebellent. Le casting, ici, est non seulement le sujet du film mais le film lui-même. On se met à douter de ce qu’on voit. Est-ce vrai ? Est-ce une représentation du réel, comme un enregistrement documentaire à charge de véritables auditions ? Ou le réalisateur interprété par le vrai Mohammad Aghebati, acteur, metteur en scène reconnu, et partenaire de la production du film d’Alia, joue-t-il à jouer ? Est-ce du théâtre dans le théâtre ? Et les candidates sont-elles complices ou ignorantes du subterfuge ?
La réalisatrice donne à voir une manipulation malsaine et met en scène le pouvoir autocratique d’un homme, associé en filigrane au pouvoir des hommes en général dans l’Iran contemporain comme dans celui des Mille et une Nuits. Et au-delà des frontières de l’Iran, au passé comme au présent. Jouant sur l’échelle des plans fixes, elle fait ressentir l’oppression subie par ces femmes, de plus en plus violente, faisant naître chez le spectateur horreur et empathie.
ELISE PADOVANI