Partout le feu a quelque chose du petit bijou théâtral parfait, porté par une conjugaison de talents. Le texte d’Helen Laurain, la mise en scène d’Hubert Colas, le jeu de Stéphanie Aflalo, complètement traversée par son rôle. Pourtant extrêmement complexe.
Car son personnage, Laeti, activiste écologique, est née, temporellement et symboliquement, avec Tchernobyl. Elle est victime d’une éco-anxiété radicale qui l’empêche de vivre, l’enferme dans sa cave et des amours instables, la coupe de sa sœur jumelle, conformiste, qu’elle maltraite méchamment. Son désespoir est le moteur de son engagement écologique contre les pollueurs du sol lorrain, la surveillance policière et le système capitaliste. Il se nourrit de causes universelles mais du deuil de sa mère, de dépit amoureux mais de sensualité magnifique, de lucidité politique mais d’aveuglement personnel. Des ambiguïtés qui la rongent comme l’exéma qui gagne peu à peu toute sa peau, et qui la pousseront à une immolation spectaculaire.
Un je de nuances
La complexité de ce personnage, porté pourtant dans le roman par le seul point de vue interne de Laeti, avait tout pour captiver le metteur en scène spécialiste des écritures contemporaines, et en particulier des monologues : l’oralité explosive, l’engagement politique, les références musicales à Nick Cave et Nina Simone, mais surtout l’ambiguïté portée par ce personnage perdu qui a raison pourtant, et envers lequel le spectateur ne peut qu’éprouver des sentiments complexes, entre empathie et réprobation, en passant par toutes les nuances de l’identification et de l’agacement.
Stéphanie Aflalo joue de tous les espaces que lui offre le metteur en scène : renfermée à sa table au micro pour dire le premier assaut d’une centrale nucléaire, occupant magnifiquement l’avant scène, cheveux défaits et débarrassés de son jogging vague pour danser, la fête et la joie, cachée derrière l’écran lorsqu’elle est enfermée dans sa cave et filmée en très gros plans déprimés. Sans une faute de texte, sans un seul décrochage dans une prose poétique exigeante qu’elle porte seule, elle danse, et chante, plus sublime encore ; si bien qu’on aimerait vraiment la sauver d’elle même et qu’un réel soulagement survient quand Stéphanie Aflalo resurgit, intacte, des cendres de Laeti. Au théâtre la vie gagne, plus sûrement qu’à la fin du roman.
AGNÈS FRESCHEL
Partout le Feu a été créé au 104 (Paris) pour l’ouverture du festival Les singulièr.e.s et joué au Théâtre Joliette (Marseille) en coacueil avec le Théâtre Vitez (Aix-en-Provence) du 2 au 4 avril.
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