Républicaine, Mercè Rodoreda (1908-1983) avait fui l’Espagne à la prise de pouvoir par Franco. Son exil dura jusqu’à la mort du dictateur. Depuis son refuge suisse, son pays lui manquait et ses souvenirs ont donné le thème de son roman, paru en 1967. Le cadre : en Catalogne dans une superbe villa sur la mer dans son immense jardin, proche de Barcelone. Le narrateur : un vieux jardinier. L’autrice semble avoir voulu évoquer à travers lui son grand-père qui l’avait initiée à l’amour des fleurs et de la nature dans son enfance.
Ce jardinier est témoin de la vie privée de ses nouveaux employeurs, un jeune couple, et de leurs invités qui se retrouvent en été pour nager, jouer aux cartes, organiser des soirées festives dans le luxe et l’oisiveté. Pendant leur service, les employés observent, saisissent des bribes de conversation des gestes, et les interprètent. Le jardinier, discret, devient parfois confident ; on le visite volontiers, on lui demande son avis – qu’il ne donne pas. Seul dans sa petite maison, il vit avec le souvenir de sa très jeune femme décédée trop tôt et se consacre aux graines, aux fleurs et aux arbres du jardin.
Ça se craquelle
La propriété voisine est rachetée par un homme très riche pour y installer sa fille nouvellement mariée à un homme très grand, très maigre, parfois ténébreux, qui part très souvent en barque, très loin, seul. Il rend aussi souvent visite au narrateur qui l’accueille avec bienveillance. Certains indices, quelques recoupements suggèrent que cet homme et la voisinese sont connus autrefois. Tout reste dans le secret, les non-dits. Avec beaucoup de délicatesse, Mercè Rodoreda avance dans son récit comme on se promène dans les allées du jardin. Les personnages prennent de l’épaisseur au fur et à mesure des rencontres estivales et nous émeuvent.
CHRIS BOURGUE
Le jardin sur la mer de Mercè Rodoreda
Traduit du catalan par Edmond Raillard
Zulma - 21,50 €
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