Qui pourrait davantage aspirer à la liberté que le fils, bâtard, d’un mollah violent dans un village afghan terrorisé par les talibans ? Après un prologue qui informe de son départ définitif vers Kaboul, la première partie du roman, écrite à la troisième personne, décrit sa vie d’adolescent au village : la terreur exercée par les talibans et par le mollah qui le maltraite, son éveil à la vie, le lien au monde qu’il construit grâce à sa radio, à son mentor l’ingénieur, à quelques livres, à la sexualité.
La peur, la mort, la merde et leurs odeurs, la violence sont omniprésentes, la dissimulation aussi, le mensonge, les non-dits, de l’homosexualité de son seul ami à sa propre bâtardise. Avec virtuosité, l’auteur suggère ce dont le personnage prend peu à peu conscience, laissant les faits se dévoiler d’eux-mêmes, mêlant courts dialogues, points de vue interne et externe, éblouissement et brouillard. Le contexte historique est présent et discret, entre soldats russes et moudjahidines puis domination des talibans, jusqu’aux attentats du 11-Septembre et aux bombardements américains de 2001. Qui entrainent la libération de Kaboul et ouvrent aussi la possibilité de sa fuite vers la capitale.
Ivresse, exil et culpabilité
La deuxième partie du roman, écrite à la première personne, diffère sensiblement. Il décrit une errance dans de longs flots de mots qui libèrent, disent franchement le refus de la religion et de l’emprise des pères. Avec deux comparses, deux fiers voyous, le jeune homme goûte à la jouissance. Constamment saoul, couchant avec des putes qu’il affectionne, jouant, volant, il reste tourmenté pourtant par ceux, et celle, qu’il a laissés derrière lui. Conscient de ses fautes et de sa responsabilité. Jusqu’à son nouveau départ, loin de Kaboul et de l’Afghanistan, dernier chapitre écrit dans un parallélisme étroit avec le prologue.
Roman d’apprentissage qui se réfère explicitement à Don Quichotte, Petchorine et Huckleberry Finn, Rattraper l’horizon est à la fois très afghan et très universel. Il dit, quatre ans après la nouvelle chute de Kaboul, l’échec d’une génération qui s’est enivrée mais n’a pas su construire un avenir politique, ni protéger les femmes, les homosexuels, les intellectuels. Khosraw Mani y raconte à la fois l’histoire de son père, qui a fui son village, et la sienne, exilé à Paris, fuyant Kaboul en 2013 et y laissant jusqu’à sa langue. Il écrit désormais dans une autre, étrangère, tout en gardant à l’évidence des rythmes poétiques persans. A-t-il rattrapé l’horizon ?
AGNÈS FRESCHEL
Rattraper l’horizon, de Khosraw Mani
Actes Sud
Paru le 20 août
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