Jonas et Lucie se rencontrent dans un groupe d’amis communs… Ils devraient pouvoir s’aimer. Lucie y est prête. Jonas, lui, se fait proche et distant à la fois. Il peine à se résoudre à faire couple avec une « goy », risquant de décevoir un père traditionaliste. Leur amour semble pouvoir dépasser les barrières religieuses mais la réalité se révèle plus subtile et pesante. Si Lucie est prête à tout pour s’adapter et se faire accepter par sa belle-famille, Jonas lui rappelle que : « Juif, ce n’est pas une religion, c’est une façon d’avoir peur et tu ne peux pas l’apprendre dans un cours du soir. »
La religion en héritage
Lorsque leur fils Ariel naît, leur bonheur pourrait être complet mais l’enfant s’avère extrêmement violent. Il ne parle pas, il tape, il ne s’exprime pas, il détruit, intolérant à toute frustration. Ce comportement va les mettre au banc de toutes relations sociales. Les autres enfants, les familles, les amis et les institutions scolaires les jugent ou s’éloignent.
Dans l’impasse, les jeunes parents, cherchent des réponses dans les frictions de leur double héritage, religieux d’abord : Lucie n’est-elle pas une shiksa (détestable, haïssable, souillure), c’est-à-dire une non juive ayant eu un bébé d’un homme juif ?
Mais aussi culturel et social. Jonas est l’héritier d’une famille parisienne d’intellectuels ashkénazes, Lucie de grands-parents maternels arrivés à Longwy pour creuser et extraire le fer utilisé dans les aciéries. « Tous les hommes descendaient dans les mines, plusieurs oncles de ma mère y sont morts. Il y avait une façon de faire les choses, de vivre et de mourir, et elle impliquait Jésus et l’église. »
Identités et altérité
Lucie est enfant d’une « classe ouvrière de régions que personne ne connaît, où les travailleurs crèvent en toussant. » Son fils, Ariel, n’est pas que l’enfant des rescapés du Yiddishland, mais aussi le fils d’un monde mort en silence. « Si je choisis le judaïsme, je dis à ma famille que, même pour ceux qui les ont connus, leur histoire ne compte pas, qu’elle peut disparaître ».
Avec tendresse et souvent beaucoup d’humour, ce livre qui vient d’obtenir le prix Transfuge 2025 du premier roman explore avec sensibilité la tension entre mémoires de mondes disparus – celui des mineurs italiens, comme celui des shtetls – et modernité, entre amour et concessions. Il interroge aussi la manière dont la société réagit à ceux qui ne rentrent pas dans les cases : couples mixtes, enfants qui refusent d’être dociles, identités qui se chevauchent et montre que l’altérité peut être un défi familial autant qu’une richesse à préserver.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Il pleut sur la parade, de Lucie-Anne Belgy
Gallimard -20,50 €
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