Le Maroc fait face à sa jeunesse : #GenZ212 porte la révolte d’une génération connectée, ni loyaliste ni révolutionnaire
Difficile de cerner le mouvement #GenZ212, apparu fin septembre sur l’application Discord. Né dans un climat de désillusion politique, il illustre la capacité d’une génération à s’organiser hors des cadres traditionnels. Sans partis ni syndicats, plus de 200 000 jeunes Marocains y débattent et programment des mobilisations, réclamant plus de justice sociale, des services publics dignes et une redistribution équitable des richesses nationales.
Déclenché après la mort de huit femmes enceintes à Agadir, faute de soins adaptés, le mouvement a dénoncé un système sanitaire défaillant et une corruption endémique. Un slogan rassembleur s’est imposé : « Moins de stades, plus d’hôpitaux ». Ces manifestations ont révélé une génération Z, née entre 1997 et 2010 qui refuse la résignation ou l’exil, et veut construire son avenir au Maroc.
Une jeunesse sans relais politiques
Les mobilisations du 27 septembre rappellent la colère accumulée d’une jeunesse sans emploi ni espoir de mobilité sociale. Au Maroc, un quart des jeunes de 15 à 24 ans est classé dans la catégorie des NEET, Not in Education, Employment or Training, sans formation ni emploi. Chez les jeunes femmes rurales, ce taux dépasse 50%. Beaucoup se tournent vers l’émigration, mais la réalité du déclassement à l’étranger rend cet horizon de moins en moins désiré.
La génération #GenZ212 (212 est l’indicatif du Maroc) partage, avec d’autres mouvements du Sud global, népalais ou malgaches, une rupture générationnelle : le rejet du fatalisme et de la peur. Leur révolte rappelle les aspirations portées par le Hirak dans le Rif en 2016. Ces mouvements populaires étaient nés de drames sociaux emblématiques, celui de la mort du vendeur de poisson Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures, écho marocain au suicide de Mohamed Bouazizi en Tunisie, déclencheur du Printemps arabe, en 2010.
Crise de gouvernance et colère sociale
Les griefs des manifestants se concentrent aujourd’hui sur le gouvernement d’Aziz Akhannouch, suspecté de conflits d’intérêts et de prédation économique. Son nom est cité dans des affaires liées à des appels d’offres truqués et des subventions publiques détournées. Le mécontentement a également été amplifié par l’appauvrissement de la classe moyenne : chômage à 13,5%, inflation de 80% en cinq ans, et un salaire minimum plafonné autour de 330€.
Le roi Mohammed VI, affaibli par des problèmes de santé, a prononcé un discours au Parlement le 10 octobre, sans aborder directement la contestation. Il y a toutefois appelé à accélérer les réformes sociales, en insistant sur la réduction des inégalités et la lutte contre la corruption. Le mouvement, dans un geste symbolique de loyauté, a suspendu ses actions ce jour-là.
Rupture générationnelle et numérique
Les jeunes du mouvement s’appuient sur une culture numérique fluide : plateformes décentralisées, messageries sécurisées, votations en ligne. Leurs échanges mêlent créativité visuelle, ironie et autodérision. Leur revendication dépasse la politique : ils réclament un cadre de liberté économique et civique, avec accès aux plateformes de paiement international (PayPal, Stripe), des exonérations pour jeunes créateurs, et une simplification administrative.
Mais ces aspirations se heurtent à un État obsédé par le contrôle, où la surveillance numérique se fait plus intrusive. L’usage central de Discord leur permet toutefois de contourner les hiérarchies, de mutualiser les expériences et de créer une forme d’organisation horizontale inédite au Maroc.
Solidarité diasporique
Beaucoup de Marocains résidant à l’étranger soutiennent activement le mouvement #GenZ212, relayant ses appels et renforçant sa visibilité. Partagés entre espoir et inquiétude, la situation de leur pays d’origine leur tient à cœur, ayant constaté l’ampleur de l’inflation, à leur retour estival. Acteurs clés de la stabilité économique, grâce à leurs transferts financiers, ils incarnent un patriotisme critique, exigeant justice et réformes sociales pour la jeunesse marocaine.
Car derrière la colère apparaît une exigence ferme, celle d’un nouveau contrat social.Pour des analystes comme Rachid Achachi, docteur en économie, la sortie de crise passe par un capitalisme d’État réformé, conjugué à une ouverture politique plus radicale. Il plaide en faveur de mesures pour l’entrepreneuriat des jeunes et de l’innovation, dans une perspective à long terme.
Entre colère silencieuse et créativité collective, #GenZ212 incarne le refus d’un Maroc à deux vitesses. Ni révolutionnaire, ni loyaliste, cette génération souhaite un pays à son image : connecté, équitable et libre.
La question désormais est de savoir si le pouvoir prendra en considération les attentes de la jeunesse.
Le mouvement continue
À Rabat ce 18 octobre, quelques dizaines de manifestants se sont rassemblés pour demander la libération des personnes arrêtes pendant le mouvement GenZ212. Les manifestants ont brandi des drapeaux pirates issus du manga One Piece – symbole de la GenZ à travers le monde – et ont scandé « Détenus, restez sereins, nous poursuivons la lutte », rapporte l’Agence France Presse.
SAMIA CHABANI