On rit, et on rit beaucoup. Le Falstaff de Verdi présenté à l’Opéra de Marseille est une véritable fête théâtrale et musicale
Inspirée des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, avec des emprunts à Henry IV, cette œuvre testamentaire de Verdi met en scène les mésaventures de Sir John Falstaff, vieux chevalier bedonnant et sans le sou. Espérant conquérir le cœur – et la bourse –, de deux bourgeoises de Windsor, Alice Ford et Meg Page, le lourdaud leur adresse des lettres d’amour identiques. Elles découvrent la supercherie et décident de se venger, jusqu’à jeter Falstaff, caché dans un panier à linge, dans la Tamise.
Denis Podalydès, qui a signé la mise en scène, a situé l’intrigue au sein d’un hôpital. Sceptique avant la représentation – l’hôpital est un cadre galvaudé dans l’opéra –, on en ressort conquis tant les dialogues du livret d’Arrigo Boito se prêtent à cette truculente transposition. Les décors sobres et élégants d’Éric Ruf laissent les chanteurs révéler leur sens du jeu comique. L’ensemble ne faiblit jamais ; le rythme, constant, transforme la soirée en un moment de jubilation.
Un Falstaff magistral
On ne pouvait rêver meilleur Falstaff que Giulio Mastrototaro. Spécialiste du répertoire bouffe, le baryton qui sillonne les grandes scènes européennes venait d’interpréter à Vérone Falstaff ossia Le tre burle de Salieri, précurseur de l’opéra de Verdi ; une expérience qui a sans doute nourrit ici son personnage. Son interprétation conjugue puissance vocale, diction exemplaire et sens aigu du théâtre. Vantard et glouton, mais aussi touchant dans sa solitude, le chanteur rend palpable de bout en bout la complexité émotionnelle de Falstaff.
Affublé d’une prothèse ventrale d’où s’échappent des livres de Shakespeare, le héros incarne à lui seul la comédie humaine et le théâtre tout entier : grotesque et grandiose. Podalydès fait ainsi de Falstaff une allégorie qui transcende un pamphlet où la verve satirique – impensable aujourd’hui – s’acharne sans ménagement sur les ventrus et les obèses.
Le livret est à l’inverse d’une surprenante modernité féministe. Alice Ford (Salome Jicia) et Meg Page (Héloïse Mas), entourées de leurs complices Mistress Quickly (Teresa Iervolino) et Nanetta (Hélène Carpentier), dominent le scénario. Leurs quatuors pétillants et virtuoses, célèbrent le génie féminin : intelligence, solidarité et humour face à des hommes bien pathétiques. Le baryton Florian Sempey livre une prestation de haute tenue dans le rôle de Ford, mari d’Alice, en proie à la jalousie amoureuse.
Ghazarossian, l’enfant du pays
Le ténor Carl Ghazarossian, que les Marseillais connaissent bien, campe un Bardolfo d’une agilité comique irrésistible. Son duo avec Pistola (Frédéric Caton) rythme l’action. Enfin, le couple Nannetta-Fenton, formé par Hélène Carpentier et Alberto Robert, séduit par sa fraîcheur et sa musicalité. Sous la baguette de Michele Spotti, l’Orchestre de l’Opéra de Marseille mène la soirée tambour battant.
La dernière scène, dans la forêt de Windsor, voit Falstaff déguisé en cerf, pris au piège des « esprits » que sont en réalité ses amis et bourreaux. Humilié, il finit par éclater de rire. L’opéra s’achève – en compagnie d’un chœur de l’opéra fougueux – sur la fugue éclatante : « Tutto nel mondo è burla » (« Tout dans le monde est farce »), une méditation joyeuse sur la condition humaine. Car si tout n’est que comédie, c’est bien dans le rire que réside la sagesse et sans doute la tendresse.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le spectacle s’est déroulé le 9 novembre, Opéra de Marseille.
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