Si l’on pouvait décerner un prix pour le roman le plus drôle de l’année, La récréation est finie figurerait sans doute dans la liste des finalistes, en tout cas pour ce qui concerne sa première partie. Marcello Gori, le narrateur, trentenaire dilettante vivant à Viareggio en Toscane, semble avoir fait de l’indécision un art de vivre. Dès l’incipit, le ton est donné : « Certains choix conditionnent toute une vie et, jusqu’à présent, j’ai toujours eu tendance à faire ces choix au hasard ».
Fils de cafetier, le plus si jeune homme que çà, se lance dans la préparation d’un doctorat avec une seule motivation : échapper à l’obligation de reprendre l’affaire familiale. Il se définit avec une lucidité désabusée : « Je ne suis pas de ceux dont la carrière universitaire coule dans les veines. J’ai été un étudiant plutôt médiocre. Mon seul talent était un certain savoir-faire. Je devinais dès le premier jour ce qu’un professeur voulait s’entendre dire. »
Ferrari nous emmène dans les couloirs de la recherche universitaire avec un talent pour la satire mordante et caustique. Il décrit avec jubilation – et nous jubilons de concert – les luttes d’ego, les jeux de pouvoir et l’hypocrisie feutrée des universités – dont il est issu et où il enseigne la philosophie.
Par un concours de circonstances, heureux ou malheureux, Marcello pénètre le cercle très fermé du prestigieux Sacrosanti, professeur fondateur du département de littérature italienne sur lequel il règne en maître absolu. Ce dernier, qui considère notre anti-héros comme un total incapable, l’exhorte, sans lui laisser vraiment le choi, de s’engager dans une thèse sur les écrits d’un certain Tito Sella. Il s’agit d’un obscur terroriste-écrivain (fictif) des années de plomb, membre de la brigade Ravachol (elle aussi fictive) entre 1978 et 1980 et mort en prison après avoir laissé derrière lui une autobiographie mystérieuse et perdue, La Fantasima. Au fil de ses recherches, Marcello mu par « une forme d’empathie et d’admiration », va s’identifier à son personnage d’analyse, reconstituer sa vie et y mêler la sienne jusqu’à s’y perdre.
L’originalité du roman tient à sa construction narrative parallèle. D’un côté, le quotidien provincial de Marcello et sa découverte catastrophée du milieu universitaire. De l’autre, le récit de ces années de plomb empêtrées dans les contradictions et paradoxes d’une génération d’activistes issus de milieux aisés bénéficiant du luxe de pouvoir « philosopher » sur la révolution au nom et en place du prolétariat. Ferrari ne juge pas, il observe, avec cette distance ironique qui fait tout le sel de son écriture. Le titre lui-même, « la Récréation est finie » citation détournée de De Gaulle en mai 1968, résonne comme un désenchantement.
Un dénouement magistral
Ferrari mène son intrigue en multipliant les mises en abyme. Il nous fait voyager avec finesse au cœur de la lutte et de la discrimination de classes, dans ce monde de nantis obséquieux, qui même kidnappés dans une cave par des « prolos » gardent une superbe que les seconds n’acquerront jamais. Il nous emmène aussi dans le petit milieu des gauchistes italiens réfugiés à Paris dans les années 1980, protégés par la France des années Mitterrand qui refusera de les extrader. On y croise aussi le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari. Le dénouement, dont on ne dira bien sûr rien, est mené avec « maestria » et replace toutes les pièces du puzzle entre elles. La récréation est finie a connu un grand succès populaire en Italie. On comprend aisément pourquoi.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
La récréation est finie,de Dario Ferrari
Éditions du sous-sol - 24 €






