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Le caftan marocain, patrimoine vivant reconnu

Le 10 décembre dernier, la tunique marocaine a été inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’Unesco. Une reconnaissance pour ce savoir-faire qui tente de survivre face à l’industrie textile

Au-delà du vêtement, le caftan marocain incarne un ensemble de pratiques et de rituels qui constituent véritablement un patrimoine culturel vivant. Son élaboration mobilise un savoir-faire complexe, transmis de génération en génération au sein des corporations artisanales et des kissariates, espaces traditionnels des médinas où s’exercent encore les métiers du textile, de la broderie et du tissage. Le brocart de Fès, les gaz textiles de Salé, ou les sfifas de soie et de fil d’or tissées à la main constituent autant de témoins matériels d’une esthétique plurielle, combinant influences amazighes, arabo-andalouses, et ottomanes.

Malgré cette continuité, les maâlams, maîtres artisans, peinent aujourd’hui à transmettre leurs compétences dans un contexte de forte concurrence industrielle. La reproduction de motifs traditionnels par des ateliers désormais mondialisés, entraîne une perte de valeur symbolique et sociale du geste artisanal, pourtant au cœur de la notion de « patrimoine immatériel ».

Le caftan dans l’imaginaire

La profondeur esthétique du caftan marocain a nourri l’imaginaire d’artistes et de voyageurs européens depuis le XIXᵉ siècle. Eugène Delacroix, lors de son voyage au Maroc en 1832, en fit l’un des symboles picturaux de la féminité nord-africaine et du raffinement vestimentaire, comme en témoigne sa toile Noce juive au Maroc, où le jeu des étoffes et des couleurs évoquent déjà la théâtralité du vêtement. De même, les photographies d’époque coloniale, notamment celles de George Washington Wilson ou d’Antonio Cavilla à Tanger, fixent dans l’imagerie exotique du « féminin marocain » un assemblage de bijoux, de coiffures et de textiles précieux qui constituaient autant de signes d’appartenance sociale.

Dans ce sens, la description que donne Edith Wharton, lors de son séjour au Maroc en 1917 s’inscrit dans la continuité de ce regard occidental sur l’apparat féminin. À travers son évocation de la superposition des brocards, des voiles de mousseline et des coiffures complexes, Wharton révèle non seulement une fascination esthétique mais aussi la « tension coloniale » entre l’authenticité locale et la modernité importée.

Identité en mouvement

Le caftan, au-delà de son esthétique, assume une fonction rituelle et symbolique. Dans la tradition matrimoniale, il marque le passage de la jeune fille à l’épouse, matérialisé par la ceinture, hzam, lors de la cérémonie. Comme le kimono japonais ou le sari indien, il incarne un rite de passage codifié, conférant statut et respectabilité à celle qui le porte. La fabrication de chaque pièce, souvent longue de plusieurs mois, mobilise un réseau d’artisans, de brodeurs, de negafates, maîtresses de cérémonie des mariages marocains, dont le savoir-faire coordonné participe à la « mise en scène du féminin » dans les célébrations.

Aujourd’hui encore, les negafates assurent la transmission du sens et des usages associés aux différentes tenues portées par la mariée. Chaque caftan, qu’il soit fassi, rbati ou chaâbi, exprime un fragment d’identité régionale et familiale. L’inscription du caftan marocain au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco représente ainsi une reconnaissance internationale d’un art total : alliant conceptions esthétiques, valeurs sociales et continuité mémorielle.

Au-delà de la sauvegarde symbolique, ce classement pose aussi la question concrète de la pérennisation des savoir-faire, appelant à des politiques publiques de valorisation, de formation et d’accompagnement des artisans, sans quoi ce patrimoine, riche d’influences et de significations, risque de se figer dans une image muséale, déconnectée de sa fonction vivante.

SAMIA CHABANI

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