lundi 29 avril 2024
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À bas maux

Dans Un silence, Joachim Lafosse fait imploser un lourd secret dans une famille bourgeoise

Le haut du visage d’Astrid (Emmanuelle Devos) dans le rétroviseur central de la voiture qu’elle conduit. Un petit cadre sur celui du pare-brise. Le reflet renvoyé d’un regard triste, hagard, d’une larme, furtive. On se souviendra de ces premiers plans du film à la dernière séquence, où ce même visage cadré cette fois en gros plan, fera face. Un Silence, le dixième film de Joachim Lafosse, nous conduit à travers le labyrinthe des secrets de famille, à ce regard frontal qui ne fuit plus le jugement.

Astrid est l’épouse de François (Daniel Auteuil), un avocat célèbre engagé dans la lutte contre les réseaux pédophiles. Il dénonce les complicités politiques et policières, défend les parents de jeunes victimes, organise des marches blanches et des actions de soutien. Un « chevalier blanc » dont le noir passé va bouleverser le cours des choses. 

François et Astrid vivent dans une demeure bourgeoise dotée d’un parc, d’une grande piscine ; protégée par de hautes grilles. Dans l’actualité du procès en cours, des dizaines de journalistes en quête de scoops, les guettent. Leur fille Caroline qui vient d’avoir un bébé vit ailleurs. Leur reste un fils adopté, Raphaël (Matthieu Galoux), grand adolescent de 18 ans, très réservé, qui sèche ses cours et semble très mal dans ses baskets. Entre François, surbooké, le nez sur ses écrans des nuits entières, et Astrid multipliant les efforts pour sauver sa famille et aider son fils, rien ne semble aller non plus. Lorsque son frère, Pierre – qu’on ne verra jamais – et ses propres enfants se mettent en quête de justice, le fragile équilibre qu’elle maintenait depuis 25 ans se rompt.

Une infinité de silences

Après L’Economie du couple (2016) et Les Intranquilles (2021), Joachim Lafosse poursuit ses investigations sur le couple par ce drame intime, qu’il veut « sobre et sans pathos », dévoilant  le mécanisme de la culpabilité, du déni et de la honte. 

Inspiré par l’affaire de l’avocat belge Victor Hissel – défenseur de Julie et Melissa Lejeune, victimes de Dutroux – Un Silence fonctionne comme une implosion. Construit sur un flash back, juxtaposant des séquences-fragments sans expliciter les causalités, se coulant dans le point de vue d’Astrid – elle-même engluée dans le secret, le film implique le spectateur. Il devra recoller les morceaux, et on lui laissera le dernier mot pour le dénouement. Le récit, filmé en Dolly, avance « à pas de loup », privilégiant le clair-obscur qui engloutit les personnages dans leurs ombres, accompagné d’une BO qui selon le réalisateur« distille une tonalité particulière et rappelle que nul n’est maître en sa demeure. » Interprétation impeccable de Daniel Auteuil et d’Emmanuelle Devos dans la rétention des émotions et l’économie du jeu. 

Il existe, on le sait, une infinité de silences. Celui d’un coupable, de sa victime, de ses complices, n’efface jamais ce qui fut. Il ne fait que prolonger le malheur, y agrégeant des dommages collatéraux dévastateurs. C’est un silence de trop.

ÉLISE PADOVANI

Un silence, de Joachim Lafosse
En salles le 10 janvier
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