Zébuline. Vous êtes nommée directrice du Pavillon ADC – Association pour le Développement Chorégrahique – de Genève, et quittez la direction de Parallèle dès mai 2025. Dans quel état est cette structure que vous avez créée ?
Lou Colombani. Nous sommes enfin sortis du nomadisme très précarisant en devenant une structure de production de la Friche la Belle de Mai, un lieu de création, de multidisciplinarité, de coopération, ce qui nous correspond bien. Mais nous sommes moins nombreux qu’à une époque, et tout aussi fragiles.
C’est à dire ? Combien êtes-vous et quel budget avez-vous ?
Nous sommes quatre postes stables à l’année, en prod, en com, en administration, en direction artistique, et plus nombreux bien sûr à l’approche du festival. Mais nous abattons le travail de huit je pense… Le problème lorsqu’on a commencé petit comme Parallèle, c’est que les budgets ne bougent pas, et les petites structures ne peuvent que rester petites. On a 200 000 euros de fonctionnement, c’est-à-dire de quoi payer les salaires, ou le festival, pas les deux ! Nous parvenons, en répondant à des appels à projets, en construisant des collaborations, en nous inscrivant dans des programmes… à 650 000 euros de budget cette année. Mais rien n’est jamais sûr, et cela nous oblige à inventer. Selon le point de vue c’est vertueux ou dangereux, cette fragilité, mais c’est surtout épuisant.
Est-ce pour cela que vous partez ?
(un temps)
Bien sûr que c’est usant de porter un projet à bout de bras comme cela. Bien sûr que j’aspire, à 44 ans, après 20 ans de métier, à cesser de lutter pour la survie de ma structure pour avoir du temps, des moyens, à consacrer aux artistes. Je pars à la direction d’un formidable outil pour les échelles de production que je veux défendre et on m’y attend avec impatience. Hélas en France, les choix politiques qui sont faits actuellement ne vont pas dans le sens du soutien à la création. À Marseille, j’ai passé plus de temps à gérer la survie qu’à défendre ou élaborer des contenus. Je ne veux pas y laisser ma peau.
Que va devenir Parallèle ?
Le festival a amorcé un projet de transmission-passation. Depuis longtemps je ne voulais plus être seule à la programmation : quand on produit des artistes émergents, militants, il faut s’entourer d’énergies d’aujourd’hui, de jeunes gens, et collectiviser les décisions. La Fondation de France a soutenu notre projet de transmission et trois jeunes femmes brillantes, habituées à l’accompagnement d’artistes, ont été retenues par notre jury, sur 51 candidats. Nous avons d’ailleurs été sidérés du potentiel de réflexion, de motivation et d’engagement des candidats. Je passe donc le relais à Assia Ugobor, Flora Fettah et Lamia Zanna qui dessineront la programmation de la prochaine édition, accompagnée par un directeur général à mi-temps que nous allons recruter. Une fois formées nous verrons si l’une d’entre elles, ou toutes, veulent rester dans une direction qui peut être collégiale. C’est bien d’être à deux à ces postes.
Vous vous assurez donc que Parallèle survive à votre départ ?
Les festivals de l’émergence sont essentiels pour nourrir la création artistique et la diversité des esthétiques. Mais qui peut avoir des assurances dans le secteur aujourd’hui ? Le soutien à l’émergence est une responsabilité collective, et nous devons nous mobiliser ensemble pour défendre cet espace-là. En tous les cas l’outil est là, pour une génération à laquelle on ne donne rien et qui cherche en général des solutions hors institution.
Dans cette édition, qui commence le 31 janvier, vous vous concentrez sur la danse, les arts visuels et la performance. Quelles sont les raisons de l’absence de théâtre ?
Je viens du théâtre pourtant… Au niveau global, j’ai la sensation qu’esthétiquement le renouvellement est plus net, en ce moment, dans le champ chorégraphique et la performance, à l’endroit de l’émergence et des petites formes. Bien sûr dans la danse et les arts plastiques le problème de la langue et de la traduction ne se pose pas, et cela facilite la circulation. Au niveau local, je veux aussi respecter les équilibres marseillais, avec actoral et Les Rencontres à l’échelle qui sont davantage programmateurs de théâtre, de textes. Et je m’inscris dans l’héritage de Dansem, pour l’émergence, la danse, la Méditerranée.
Pour ce qui est des arts visuels, notre cycle de professionnalisation ne pouvait pas s’en tenir à une exposition collective, et nous avons donc produit deux solos show au 3bisf et à l’Espace Fernand Léger de Port-de-Bouc, de Nina Boughanim et Valentin Vert, qui étaient dans l’expo collective l’an dernier. La Relève 7, elle, réunit vingt artistes lauréats à Château de Servières, et le collectif Mastoc à Art-Cade.
Pourquoi cette édition s’intitule-t-elle « La part belle » ?
Quand on regarde l’actualité on ne les trouve pas très beaux, les humains… Je voulais revendiquer notre part de vulnérabilité, de doute, celle qui est stigmatisée, désignée comme déviante, queer, rejetée quand elle se montre et cachée, dissimulée trop souvent encore, comme étant notre « part belle », notre part d’humanité.
La programmation se concentre à la Friche ?
Oui, en partie, nous y sommes installés désormais, et on est contents de l’ouverture sur le grand plateau avec Jeremy Nedd, un artiste danseur magnifique qui avec cinq interprètes interroge la virtuosité, le droit d’auteur du geste, la danse urbaine et ses récupérations dans les jeux vidéos. On produit aussi avec Radio Grenouille Maud Blandel pour une création sonore, radiophonique, partagée avec des non-voyants et des malvoyants, une très belle aventure et des rencontres qui font du bien. Il ne faudra pas manquer non plus Armin Okmi qui a bouleversé Montpellier danse avec Shiraz, une reconstitution du festival iranien interdit par le régime des mollahs, avec 7 danseureuses. C’est bouleversant. On programme plus de 40 artistes, une quinzaine de propositions, autour de deux grands week-ends.
Dont un commence le mardi…
Oui, j’ai toujours tendance à déborder !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL
Parallèle 15, Notre Part belle
Festival des pratiques artistiques émergentes internationales
Du 31 janvier au 8 février
Marseille, Aix en Provence
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