Le 21 février le gouvernement annulait par décret 10 milliards de dépenses de l’État sur le budget 2024. La raison ? Une croissance inférieure aux prévisions. Effectivement, on constate une croissance 2023 à 0,8% au lieu du prévisionnel de 0,9%.
Pour retrouver le sacro-saint équilibre, le gouvernement pourrait choisir de rétablir l’ISF qu’Emmanuel Macron a supprimé dès 2018, occasionnant une perte nette de 4,5 milliards d’euros annuels de recettes fiscales. Il pourrait aussi, au-delà de la répression de la fraude fiscale des particuliers, prendre des mesures contre l’évasion fiscale des entreprises et des milliardaires français estimée, au bas mot, à 60 milliards d’euros annuels. Bref, il pourrait en appeler à la solidarité nationale des 10% des Français les plus riches, qui possèdent plus de 50% des richesses, soit 163 fois plus que les 10% les plus pauvres. Et relancer la consommation des pauvres, et donc les recettes de TVA, par une hausse des allocations chômage, handicap, logement, des bourses des étudiants, des revenus minimaux…
Idéaliste ? Utopiste ? Chimérique ? Ceux qui prônent ce cercle vertueux fondé sur une meilleure répartition des richesses dans un pays immensément riche sont accueillis par un sourire condescendant, un sourire de classe : l’État libéral a renoncé à son rôle régulateur.
Plus besoin des pauvres
Le capitalisme avait besoin du pauvre pour travailler, le libéralisme pour consommer. Le néolibéralisme d’État prend acte de sa foncière inutilité : ce ne sont pas les pauvres qui redressent le PIB, ils dépensent trop peu et préfèrent manger malsain des produits de première nécessité. Les appauvrir encore n’endettera pas la France, dont l’économie repose sur les industries du luxe.
Peu importe que ce soit immoral, et contraire aux principes de notre République. Le gouvernement Attal choisit de mettre à bas ce qui permet aux Français de faire société, d’envisager l’avenir. Au lieu de lutter contre une pauvreté croissante, il décide, cyniquement, de faire payer les pauvres.
Il vous faut lire la liste infâme
Chacun des chiffres du décret est une insulte à l’avenir.
660 millions en moins pour l’accès au logement et l’amélioration de l’habitat ; 49 millions en moins pour la politique de la ville ; 175 millions en moins pour l’intégration et l’asile ; 307 millionssoustraits à la solidarité et l’égalité des chances, dont 230 millions au handicap et à la dépendance ; 180 millions en moins pour la jeunesse et la vie associative ; 327 millions en moins pour la justice ; 691 millions en moins pour l’enseignement primaire et secondaire ; 904 millionsen moins pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Enfin, cerise atomique sur un gâteau indigeste, le gouvernement ponctionne 1,5 milliard à la transition écologique, au climat et à la biodiversité ; et, évidemment, 1,1 milliardà l’emploi.
Envahir les imaginaires
Quant à la culture, qui permet de penser l’avenir et de jouir du présent, c’est elle qui, en pourcentage, paye le plus lourd tribut :204 millions en moins, dont 95 millions pourla création. Les collectivités locales, qui voient aussi leurs subsides baisser, ne pourront en aucun cas compenser ce désengagement massif, qui va mettre en faillite les établissements labellisés de province, qui, parions-le, seront plus impactés que les opéras parisiens.
Mais rassurez-vous, Hermès, Louis Vuitton, L’Oréal, Dior et Chanel se portent mieux que jamais. Au fond, n’est-ce pas eux, la culture française ? Hachette aussi va bien, aux mains de Bolloré comme nombre de médias privés, que la baisse de 20 millions sur l’audiovisuel public ne peut que réjouir.
L’extrême droite sait bien que la maîtrise des médias, des images, des récits nationaux est décisive pour conquérir le pouvoir. Le gouvernement lui offre sur un plateau la désespérance du peuple.1 français sur 6 aujourd’hui ne mange pas à sa faim, 1 sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté. Les conditions sont réunies pour qu’ils rejettent un gouvernement qui les affame obstinément, et vote pour la seule opposition qui s’exprime sur les canaux de grande écoute.
AGNÈS FRESCHEL