lundi 29 avril 2024
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Aix s’enflamme pour sa 5e saison

Depuis le 17 septembre et jusqu’au 9 octobre se tient la séquence automnale du rendez-vous aixois. En voici quelques cartes postales

L’effervescence de l’automne anime la 5e Saison aixoise. On se plaît aux hasards, aux rencontres éblouies au détour d’une place, d’un lieu…

Flamboiements

L’ouverture quasi wagnérienne du troisième mouvement de la biennale d’Aix-en-Provence avec « Aix 100 Flammes » reliait symboliquement le théâtre du Jeu de Paume au Grand Théâtre de Provence (GTP). Les auspices sont on ne peut plus clairs : c’est par la culture que la vie s’orchestre et prend son sens. Une culture populaire au noble sens du terme, commune et participative, renouant avec le bonheur des éblouissements collectifs. La compagnie Carabosse, chargée des illuminations, installait tout au long du parcours des milliers de pots de feu. Déposés à même le sol ou architecturés en orbes géantes, globes stylisés aux méridiens articulés. Des chaufferettes géantes, braseros dont le vent parfois disperse les cendres incandescentes, série de « marcels » pendus à hauteur de réverbère que les artisans des feux allument à l’instar du personnage du chapitre 14 du Petit Prince de Saint-Exupéry, « occupation très jolie », s’il en est, et qui est « véritablement utile puisque c’est joli ». Sur ce chemin de lumières, s’égrènent petits kiosques à musique et personnages de métal qui s’animent au gré de la chaleur des loupiotes : incroyables cyclistes funambules, têtes de réveil dont les longs membres prennent le rythme d’une marche sur place, énigmatiquement expressifs. Deux chevaux du théâtre du Centaure amorçaient une promenade sur les terrasses du GTP avant de s’enlacer tendrement dans la cour du théâtre. La foule avait répondu à l’invitation, séduite, étonnée, intéressée, renouant avec le partage d’un regard commun dans une atmosphère joyeuse et bienveillante.  

Aix 100 Flammes © MC

Utopies participatives

Repoussés trop longtemps par la crise sanitaire, des spectacles savaient fédérer professionnels et amateurs autour de créations qui drainaient un public multiple et enthousiaste.

Le propos mené par les Compagnie Anania Danses et Naïno Productions, 100 pas presque, rassemblait sur la place des Prêcheurs une troupe de danseurs (formés lors d’ateliers participatifs) dirigés ou plutôt accompagnés par le chorégraphe et danseur Taoufiq Izeddiou dans une marche dansée sur une centaine de mètres en une heure. Histoire de refuser la trépidation de notre société consommatrice, et de se connecter à un tempo plus intérieur et humain, vers les musiciens sur une composition originale de Pascal Charrier (musiciens pro et amateurs, initiés eux aussi lors d’ateliers en amont). Le résultat en fut saisissant de liberté, d’invention, dans un parcours qui alla jusqu’à une forme de transe dynamique poussant les personnes « sur scène » à convier les assistants à rejoindre la danse. Bonheur des partages !

La rencontre se tissait aussi au Bois de l’Aune (initiateur de 100 pas presque) entre cinq danseurs aixois (Marginalz Crew) et trois danseurs japonais (Strugglez Crew) qui proposèrent avec Voir à nouveau un spectacle de breakdance (création montée en une petite semaine). Les mouvements solitaires, dissimulés sous capuches et vêtements amples, soulignent la singularité de chacun malgré un discours à la grammaire et aux rythmes communs. Chaque danseur présente une facette de son savoir-faire, se mesure aux autres. Rares sont les instants où les pas se conjuguent et s’accordent. Un exercice plusieurs fois ovationné par le public du Bois de l’Aune.

Le même lieu recevait aussi le spectacle maintes fois reporté, Mastory, projet construit avec une intelligente empathie par Paul Pascot, comédien et metteur en scène et Lau Rinha, artiste hip-hop, (cette dernière était aussi cheville ouvrière de la rencontre de Voir à nouveau). Le travail débute en 2021, réunit les jeunes gens sélectionnés sur leurs passions (danse contemporaine, rap, cuisine, flamenco, chant, dessin…). Il les fait participer à des masterclasses, assister à des spectacles, lire la masse de textes proposés par les deux meneurs de jeu, choisir (chaque texte de Musset, Saccomano, Saint-Exupéry, Siméon, Sotteau, Alberoni, Sand… correspond à une émotion, un parcours de vie, évoquant l’intime et le pluriel à la fois), se libérer de l’angoisse de la scène, de se mettre en représentation, cette mise en danger de soi qui, sur scène, est un autre, certes, mais fragilise les êtres. La scénographie reprend le carré tournant de L’Amérique (jouée par Paul Pascot au Bois de l’Aune, il y a quelques années) et utilise de larges cubes de bois brut, qui se transforment en sièges, estrades, support d’un clavier. Le spectacle débute par la recension d’exercices de théâtre, regroupements, cercles, marche aléatoire. Les jeunes acteurs se cachent sous capuches et larges manteaux qu’ils abandonnent au fur et à mesure qu’ils se disent, se jouent, avec une fraîcheur et une sincérité bouleversantes. Les voix sortent, posées, justes, passionnées, modulées par le sens et l’intention donnée, les musiques naissent, slam, mélodies, accompagnées au clavier ou à la guitare, dans une éloquence touchante alors que la danse s’empare de certaines avec une fougue élégante. La puissance du spectacle (on ne peut que regretter qu’il ne soit joué qu’une seule fois !) tient à ce travail libératoire, à cette approche neuve et enthousiaste au sens fort. Le thème c’est l’amour, celui que l’on dit avec un grand A, peu importe s’il s’adresse à des êtres particuliers ou n’est qu’une idée, l’Amour ici est déjà celui du théâtre, une chute dont on ne se relève pas et c’est très bien ainsi !

Spectacles nouveaux

Le thème du Japon se déployait aussi au fil des manifestations. Ainsi le Conservatoire Darius Milhaud recevait la nouvelle création conçue par Agence Artistik de Laurence Patermo, Éléments, avec le Bamboo Orchestra de Makoto Yabuki et les danseurs Pierre Boileau-Sanchez et Sinath Ouk, chorégraphe de cet opus, baigné de sublimes clairs-obscurs. Les percussions et la danse trouvent dans la déclinaison des quatre éléments, terre, eau, feu, air, une fusion mise en scène avec brio, les danseurs devenant percussionnistes, les percussionnistes danseurs. Les corps s’animent, écoutent, s’assagissent puis s’élancent en irrépressibles élans allant jusqu’à la transe. La beauté de l’instrumentarium de bambous offre un cadre poétique aux évolutions. Les sonorités complexes passent du rythme à la mélodie portée par une flûte de bambou. La musique de Fauré par ce biais prend des allures oniriques propices à cette cosmogonie élémentaire. Bulle délicate.

La Manufacture se mettait aussi à l’heure japonaise, invitant Mauro De Giorgi pour une intéressante performance de peinture nippone à l’encre sumi-e. Les formes naissent comme par magie d’un effleurement, d’une tache, d’un trait… quelle finesse ! On apprenait aussi pourquoi les œuvres se trouvent sur des formats verticaux : les tremblements de terre incessants ne sont pas étrangers à la fabrication des tableaux : tout se doit d’être dans la légèreté… Suivait une performance réunissant la projection d’œuvres de la plasticienne Hitomi Takeda, la musique électro de Rubin Steiner et les haïkus de Jack Kerouac (le « King of the Beats », en raison de son livre Sur la route), dits et joués par le comédien Nicolas Martel. L’immédiateté du style que Kerouac nommait « prose spontanée » se trouve condensée dans ces poèmes de trois vers. La profondeur se condense en formules lapidaires, « Le son du silence/Est toute l’instruction/Que tu recevras » (« The sound of silence/Is all the instruction/You’ll get »). Le tout dans la cour extérieure de la Manufacture en une atmosphère délicieusement conviviale.

Où l’imagination fait sens

L’expédition végétale © MC

La fantaisie, l’invention, sont aussi les maîtres-mots de cette 5e saison qui se plaît à mailler finement l’espace public. L’Aéroflorale et son équipe de scientifiques parcourt le monde à la recherche de plantes afin d’en étudier l’énergie phytovoltaïque. Les spécialistes décrivent aux passants le projet génial de cette nouvelle source d’électricité, expliquent leurs missions à Madagascar, île pauvre en ressources, et donc fortement intéressée par ce procédé peu onéreux. Ils détaillent les vertus des végétaux, « l’électricité est puisée au racines le plus souvent, mais en ce qui concerne les plantes grasses, on peut récupérer l’énergie dans les feuilles »… Un peu de musique pour améliorer l’humeur des plantes, des ateliers de recherches en cours, des démonstrations bluffantes (ainsi une toute petite plante verte alimente sons et lumières !), l’ensemble sous la construction géante (qui a atterri sur la place des Prêcheurs), imposant assemblage de métal soutenu par des ballons et des hélices sans cesse en action. Les savants sortis d’un roman de Jules Verne s’activent, grimpent sur les hauteurs de cette architecture improbable, en descendent en rappel. Magique simplicité, évidence… Quoi ! Il n’y a pas eu de vol dans les airs à l’instar du Château ambulant de Miyazaki ? Les plantes présentées ne produisent pas grâce à leur électricité les montages ingénieux exposés ?  Il n’y a pas de scientifiques dans l’aventure, mais de vrais comédiens de la compagnie La Machine ? Foin de ces rabat-joie ! Le bonheur d’une belle histoire, la beauté du dispositif, réveillent notre appétit de merveilleux, notre besoin d’imaginaire, de magie, de sens aussi, car l’Aéroflorale répond à des questionnements actuels concrets et prégnants. D’ailleurs, certaines recherches, sérieuses cette fois-ci travaillent sur le principe des piles microbiennes : la matière organique rejetée dans le sol par les plantes lors de la photosynthèse sert de nourriture à des micro-organismes qui libèrent des électrons lorsqu’ils se nourrissent. Ces électrons recueillis par des électrodes génèrent de l’électricité. Le dispositif, valable uniquement dans des milieux saturés en eau, est commercialisé par une entreprise hollandaise Plante-e (on arrête la pub gratuite ici !).

Rêver le monde, quelle entreprise fantastique ! Ce rêve se concrétise au cœur de l’église de la Madeleine grâce au Museum of the Moon de Luke Jerram. Avec un diamètre de sept mètres, cette lune conçue à partir d’images détaillées de la NASA et éclairée de l’intérieur semble flotter dans les airs, comme portée par les sons surround concoctés par le compositeur Dan Jones avec un parfum de Debussy. Les mythologies se refondent dans cette représentation tangible et onirique.

La lune n’est plus à promettre.

MARYVONNE COLOMBANI

Une 5e saison
divers lieux, Aix-en-Provence
aixenprovence.fr

Museum of the Moon, église de la Madeleine jusqu’au 8 octobre
Banquet, Haïku et Cie, bibliothèque Méjanes-Allumettes, 23 septembre
Performance de peinture japonaise, Fondation Saint-John Perse, 23 septembre
Éléments, Conservatoire Darius Milhaud, 25 septembre
Voir à nouveau, théâtre du Bois de l’Aune, 27 septembre
Mastory, théâtre du Bois de l’Aune, 27 septembre
100 pas presque, place des Prêcheurs, 21 septembre
L’expédition végétale, place des Prêcheurs, 23 au 26 septembre

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