Depuis 1994, les Rencontres d’Averroès, fondées par Thierry Fabre à Marseille, proposent de « penser la Méditerranée des deux rives ». Historiens, écrivains, chercheurs, y ont exploré ensemble les nœuds de notre présent, à la lumière des héritages croisés de l’Europe et du monde arabo-musulman. Cette agora annuelle, unique en France, a fait de Marseille le théâtre vivant d’un dialogue intellectuel exigeant, populaire, résolument ancré dans le réel, qui perdure perdure aujourd’hui avec « Les Nouvelles Rencontres d’Averroès »
C’est dans ce sillage que s’inscrit l’ouvrage de ce chercheur en sciences politiques, paru ce mois de mai aux éditions Riveneuve : Faut-il brûler Averroès ? Ce qui nous arrive. Un livre court mais dense, lucide et éclairé par des années de débat. Thierry Fabre y convoque de nouveau la figure du philosophe andalou du XIIe siècle, non comme un monument figé, mais comme une force vive : un antidote aux passions identitaires qui rongent nos démocraties.
Alors que l’Europe bruisse de discours sur la « remigration », que l’extrême droite se banalise jusqu’aux sommets de l’État, Thiery Fabre rappelle ce que l’Occident doit à ceux qu’il rejette aujourd’hui. Averroès, Maïmonide, les traducteurs syro-arabes de l’Antiquité grecque : tous ont nourri ce que l’on appelle encore, un peu rapidement, les « Lumières ». Et l’Occident ne saurait se penser, dans sa construction même, comme le bloc artificiellement délimité a posteriori par ses laudateurs.
Mais au-delà du rappel historique, l’essai est un cri politique. Le monde se cabre, les murs montent, et la colère des peuples, abandonnés par une mondialisation brutale, devient le carburant d’une crispation identitaire et d’une nouvelle réaction autoritaire. Fabre n’en minimise pas la portée. Sa section centrale, « Nous sommes tous d’ici, faisons semblant » ne passe sous silence aucune des impasses s’imposant à nous aujourd’hui. Ce qui nous arrive n’est pas une simple rechute du XXe siècle : c’est une mutation. Et elle demande, pour être affrontée, une pensée à la hauteur.
Avec sa prose sobre, tendue, presque nue, Fabre nous invite à « inscrire notre présent dans d’autres généalogies ». Non pour fuir la réalité, mais pour l’armer autrement. La Méditerranée qu’il défend n’est pas un folklore, c’est une promesse de civilisation tissée dans l’hospitalité et le dialogue. Dans une époque où « Vous n’êtes pas d’ici » est devenu mot d’ordre, « Nous serons tous d’ici » devient, sous sa plume, une résistance. Un projet. Et peut-être, déjà, un avenir.
SUZANNE CANESSA
Faut-il brûler Averroès ? Ce qui nous arrive
Thierry Fabre
Éditions Riveneuve
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