Il fallait bien deux monuments pour le fantastique duo entre le pianiste Alexandre Kantorow et le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ! L’entente entre cette grande formation, magistralement mise en valeur par son jeune chef et le génial pianiste, premier français à avoir obtenu le premier prix du concours Tchaïkovski – véritable Graal du piano – à tout juste vingt-deux ans, est sensible dans les moindres accords. Un regard et la symbiose se noue, évidence de la musique, de ses mouvements, de ses tempi, en un dialogue fécond.
Le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en sol majeur opus 44 de Tchaïkovski ouvre le bal, sublimé par l’interprétation de l’ensemble. On dirait deux solistes géants face à face, aucun n’ayant nécessairement besoin de l’autre pour s’épauler, mais unis par la grâce. L’éblouissante technique devient accessoire, n’est pas la fin en soi qui servirait les rodomontades de beaucoup, mais un outil bien rodé entièrement mis au service de l’expression. Des intentions de la partition, nous donnant à entendre une voix, des accents emportés, le flux vibrant d’une pensée chatoyante. L’Allegro con fuogo qui conclut l’œuvre laisse l’auditoire saisi dans le foisonnement d’une musique exigeante.
Bel Kanto
Tellurique, le pianiste bouleverse encore dans le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en la majeur de Liszt. Falaises sonores, écarts, fortissimi exacerbés, pianissimi de rêve, le caractère symphonique de cet opus (qui en ce sens est proche de la conception de Tchaïkovski dans son Concerto pour piano n° 2) englobe avec une élégante virtuosité le piano au cœur des instruments de l’orchestre. Une seule note posée et déjà on entre en poésie. La méditation, le recueillement jouxtent les épanchements démesurés. Le chef d’orchestre danse et le Sinfonia Orchestra brille. La fougue d’Alexandre Kantorow, parfois subtilement espiègle, est au diapason. Les gradins du parc du Château de Florans, combles pour la première fois cette année, trépignent. Le premier bis qu’il nous offre est un discret hommage à Nelson Freire qui a quitté la scène du monde le 1er novembre 2021 (lire ici) : La danse des esprits bienheureux de Gluck (in Orphée et Euridice Wq. 30, arrangement Sgambati) était le bis traditionnel du pianiste disparu. Sa poésie onirique bouleverse ici doublement. La rêverie du pianiste-poète vagabondera ensuite dans le Sonetto 104 del Petrarca (2e année de Pèlerinage de Liszt) avant de conclure par L’oiseau de feu III Finale de Stravinsky (arrangements Agosti), démontrant par l’exemple que la virtuosité n’est pas qu’une histoire de technique mais bien la capacité à transmettre l’émotion. Temps suspendu !
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 5 août auditorium du parc du Château de Florans, dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque-d’Anthéron.