Présenté au PriMed dans la section « Mémoires de la Méditerranée 2025 », le documentaire de Cécile Allégra revient sur le parcours hors du commun de la photographe italienne
Ceux et celles qui sont allé·e·s aux dernières Rencontres d’Arles n’ont certainement pas manqué le travail de la grande photographe sicilienne Letizia Battaglia, celle qui photographiait avec ses yeux et son cœur, celle qui captait l’essentiel.
Au PriMed 2025, on a pu l’approcher à travers Laetizia Battaglia, photographe des années de sang, un film, écrit, réalisé et raconté par Cecilia Allegra. C’est en effet l’histoire de Letizia qu’elle conte à travers les témoignages de ceux et celles qui l’ont connue.
Images d’archives, reportages, extrait de films et surtout les superbes photos de celle qui, née en 1935, a fêté ses dix ans dans une ville détruite. « La guerre est terminée mais une autre guerre commence, la mienne ! » Suite à une mauvaise rencontre, son père lui avait interdit de sortir dans la ville. Elle qui n’avait qu’une envie : être libre et photographier Palerme.
C’est à 37 ans qu’elle a décidé de devenir photographe. Après trois ans passés à Milan où elle suit les manifs étudiantes, elle revient dans sa ville natale et devient la première femme à diriger un service photo à l’Ora, un quotidien de gauche.
Palerme est gangrénée par la mafia, les chefs mafieux qui passent en procès sont acquittés car les magistrats ont peur. Ceux qui s’opposent sont tués. En 1979, 19 assassinats. Le jour où un policier honnête, Boris Giulano est tué, Letizia pose son appareil, refusant de montrer à la mafia le corps criblé de balles. Puis ce sera le tour du juge Terranova. Letizia Battaglia organise alors la première expo au monde qui ose révéler les crimes de Cosa Nostra : des photos installées sans autorisation, en plein cœur de Palerme, fruit de 5 ans de travail. Fait en courant, la trouille au ventre.
Elle choisit ensuite de travailler avec des femmes à l’hôpital psychiatrique et photographie son peuple ; en particulier des petites filles dont la fameuse photo La petite fille au ballon. Des petites filles qui semblent collées au mur : « Je sais que ces petites filles, c’est moi. La petite fille que j’étais à dix ans. Je ne cesserai jamais de la photographier parce qu’elle seule porte un espoir pour l’avenir » confie-t-elle.
Se laver dans la mer
Letizia traverse une phase de dépression, quitte Palerme, part au Groenland. Puis, de retour à Palerme, elle voit que la société civile se réveille, surtout les femmes qui créent le comité des « draps blancs ». Avec des amies militantes, elles lancent un journal consacré aux femmes, Mezzocielo. Letizia, qui a souvent rêvé d’effacer ses photos des années de sang pour faire disparaitre la souillure, décide de les retravailler en quelque chose de différent. Elle les plonge dans la mer pour « laver le sang », des photos qu’elle appelle « réélaboration ». « J’ai passé des années à me battre pour ma ville. Mon corps n’est plus aussi fort qu’avant mais la vieillesse est une saison merveilleuse. Je travaille beaucoup mais si je m’arrête, je meurs et moi, je veux mourir debout ! »
C’est arrivé le 13 avril 2022. Les photos sont toujours là, nous rappelant les années terribles qu’a connues Palerme, nous donnant à voir ses habitants vus par l’œil hors du commun et plein d’humanité de cette femme extraordinaire toujours debout, qui répétait à sa petite fille « Si tu veux quelque chose, bats-toi pour l’avoir ! »Le documentaire de Cecilia Allegra nous permet de l’approcher et de (re)découvrir plus d’une trentaine de ses photos qui ne laissent personne indifférent.
ANNIE GAVA
Laetizia Battaglia, photographe des années de sang a été présenté au festival PriMed, Marseille.
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