Le Off avignonnais commençant la veille des élections législatives qui risquent de faire basculer le pays vers l’extrême-droite, Jacques et Chirac revêt une actualité inattendue et particulière. La folie de la fonction présidentielle, les scandales de la Françafrique, le pouvoir grandissant des médias, les enjeux européens et ruraux, l’emprise des grandes entreprises sur le fonctionnement de l’État y apparaissent comme les prémisses des enjeux actuels, et de la lente mais sûre dégradation de la Ve République. Sans parler de la dissolution impromptue de l’Assemblée Nationale. Mais comment un Président peut-il mettre son pays dans une telle merde ?
Pourtant Jacques Chirac reste le Président le plus aimé des Français ! Pour déminer un peu cette image Jacques et Chirac rappelle toute sa duplicité, les trafics et corruptions, les liens personnels avec les dictateurs sanguinaires et les marchands d’armes, la politique postcoloniale criminelle, le racisme latent, le gaullisme tardif. Mais l’exploit du spectacle proposé par la Compagnie du Grand Soir est de parvenir à laisser quand même transparaître ce qui a fait son succès : sympathique, pétri de contradictions, de désirs rengainés, de naïveté et de paresse, Chirac l’est aussi, si ce n’est Jacques.
Le rire, puissant antidote
Pour démonter cette duplicité d’un seul la Cie du Grand Soir propose un travail à trois, collectif, féroce et joyeux. Régis Vlachos, qui a écrit un texte extrêmement renseigné, campe un Jacques Chirac monstrueux et touchant ; Charlotte Zotto, qui a adapté son texte pour la scène, joue maman Chirac, Bernadette et Claude, l’horrible Marie-France Garraud, mais aussi l’amoureuse américaine et nombre de personnages masculins ; Marc Pistolesi, qui a conçu une mise en scène aux effets comiques constants reposant sur une grande ingéniosité des décors, joue Foccart et Dassault, Sarko et Valéry, mais aussi nombre de personnages féminins. Les images d’archives, connues et oubliées, dialoguent avec de la création vidéo, une danse virevoltante de changements de personnages et de costumes, des trouvailles de mise en scène délicieuses.
Les trois acteurs s’en donnent à chœur joie, à toute allure, mettent en slip Chirac dans une parodie de jeu télévisé hilarante, et on (re)découvre un Président paradoxal, vendant L’Humanité, auteur du « bruit et des odeurs » et de « This is not a method », dont les trois comédien.ne.s font un rap endiablé.
Image d’un temps révolu où la domination masculine blanche n’était remise en cause par (presque) personne, Chirac qui ne fut pas le pire des Présidents et demeure aujourd’hui un des plus populaires, était un monstre de duplicité. La racine du mal, ou un de ses surgeons ?
AGNES FRESCHEL
Jacques et Chirac
Du 29 juin au 21 juillet à 13h
Théâtre de la Luna, Avignon
theatre-laluna.fr