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AVIGNON OFF : Pourquoi imposer un sexe ?

Au Palace, Catherine Marnas présente Herculine Barbin, un petit bijou d’intelligence et d’émotion, qui éclaire par une incursion au XIXe siècle la question si actuelle de l’autodétermination de genre

Le questionnement sur le genre a une histoire. Un de ses pans passe par la découverte, par Michel Foucault, du récit autobiographique d’Herculine Barbin, écrit en 1868. Récit qui donna naissance au questionnement du philosophe sur le « vrai sexe », à l’idée, reprise par Judith Butler, qu’il est possible, souhaitable, envisageable, de renoncer à l’assignation binaire d’un sexe F ou M à la naissance. 

A-t-on vraiment besoin d’un vrai sexe ? demande le sous-titre du spectacle, reprenant la préface de Michel Foucault. La question est posée à travers une invitation empathique à partager un récit d’expérience, ouvrant ainsi les portes de l’évidence à celleux qui n’auraient pas compris les souffrances intimes que produisent les assignations inadéquates ou forcées

Herculine, qui s’appelle Camille dans les Souvenirs qu’iel a laissé avant de se suicider, ne vivait pas dans un corps impossible, mais dans une société inapte à admettre l’hermaphrodisme, l’indécision sexuelle. Une société tout aussi inapte à imaginer qu’une femme, puisqu’il avait été décidé qu’iel en était une, puisse en aimer et en désirer une autre. Plutôt décider qu’il y avait eu erreur et qu’Herculine était en fait Abel, un homme. Une transition et un choix imposé, qui l’a tué·e.

Un travail d’orfèvre

Mettre en scène le récit d’Herculine Barbet 150 ans plus tard nécessite toujours de la délicatesse. Ses Mémoires ont donné lieu à des adaptations romanesques ou cinématographiques qui en manquaient singulièrement, légitimant l’autodétermination de  genre et la non-binarité par une « anomalie » physiologique, un hermaphrodisme génital. Adaptations qui rendent aujourd’hui la tâche peu aisée, alors que les trans et les queers revendiquent de tenir une parole située, qu’iels détiennent.

Face à ces difficultés, la mise en scène de Catherine Marnas fait dans la dentelle la plus subtile. La plus solide aussi, portée par une scénographie et une création sonore qui font vibrer l’espace de sensations fugitives. Les deux acteurs sont remarquables. Yuming Hey incarne celle qui s’appelle Alexina parfois, Camille souvent, puis Abel, avec tout l’art d’un comédien d’exception. Genderfluid, il rend sensible les émois de cette jeune fille qui ne se connaît pas, aime, au cœur des couvents où elle est élevée, puis de l’école où elle est institutrice, la compagnie de ses compagnes… qu’elle désire. Iel danse ses découvertes et ses élans, ses défaites, jouissances et évanouissements, ses terreurs, ses douleurs. Chaque murmure, inflexion, nuance est délivré comme un joaillier dépose ses feuilles d’or, comme un musicien travaille ses phrases. L’écriture d’Herculine Barbin est précieuse et belle et le récit, au souffle puissant, donne cops à des personnages et devient dramatique dans les bras de Mickael Pelissier, qui accompagne Camille, joue sa mère, son amante, les religieuses et les collégiennes, le médecin et le juge, portant Yuming Hey, l’enserrant, le soutenant, le regardant sans cesse, donnant à Herculine la visibilité qui lui a tant manquée avec une attention qui avive celle du spectateur, une empathie qui se diffuse, une justesse qui lui fait croire qu’il est Lisa puis Sara, les jeunes filles tant aimées.

Puis les draps blancs, fluides et doux, protecteurs, disparaissent, laissant place à un déguisement d’homme, comme une absurde castration. Vraiment, décider d’un vrai sexe est une aberration… 

AGNÈS  FRESCHEL

Herculine Barbin 
Du 29 juin au 21 juillet à 17h30
Le Palace, Avignon
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