Serge Kribus, l’auteur, a interprété lui-même le rôle du fils, aux côtés de Michel Aumont au Théâtre de l’Œuvre à Paris. Il y a gagné une notoriété couronnée par quatre nominations à la cérémonie des Molières. Comédien, l’auteur a un sens aigu d’un dialogue limpide, sans digressions, où les non-dits jouent les jokers, et refuse toute narration explicative : les confrontations s’affichent dans l’instant même de la représentation, b.a.ba du théâtre de situation.
Conflit générationnel
Un homme d’âge mûr, Boris, exulte. Comédien oublié, on vient de lui proposer de jouer le Roi Lear, un engagement inespéré. Sans tambour ni trompette il débarque chez son fils. L’intrusion de cet éternel râleur est mal venue car Henri est désespéré :il vient d’être licencié et Charlotte, sa femme, l’a quitté. Difficile d’avouer son amour filial ou paternel…
Sur un plateau nu, une table et deux chaises, un porte-manteau. Voilà qui suffit pour passer un moment en compagnie de ces deux êtres qui s’adorent mais s’envoient des vacheries. Une façon maladroite de masquer leurs sentiments. On attaque puis on se rétracte, on insulte puis on s’excuse.
Le père qui, enfant, a connu la Shoah, veut entretenir ses traditions religieuses. Le fils préfère vivre dans le présent, regarder l’avenir en face, même s’il n’est guère réjouissant. Le Grand Retour de Boris S pose la question de cette mémoire. Faut-il, au nom de la lutte contre l’oubli, entretenir la peur de l’autre, sa fragilité, et clamer « Plus jamais ça » ou affirmer comme Henri : « Quand tu es juif tu deviens un peu taré. Alors si mes enfants peuvent oublier et ne pas devenir tarés, qu’ils oublient. » Henri ne pense pas vraiment ce qu’il dit et Boris a cette phrase magnifique : « Dis-leur (à tes enfants) qu’on s’est battus pour un autre monde et qu’il se fait attendre, mais que c’est pas une raison pour qu’on accepte celui-ci. » On comprendra que cette thématique prend aujourd’hui un sens brûlant.
Stéphane Metzger et Denis Come ne jouent pas, ils sont. Entre silences, phrases lâchées à la volée, vociférations impromptues, leur jeu échappe à toute convention théâtrale. On oublie leur présence, on ne voit, on n’entend qu’un père et un fils englués dans leurs sentiments, dans leurs conflits générationnels. Chacun de nous, à sa façon, y a été déjà confronté. Notre attention, notre empathie pour ces deux-là enfle tandis que Serge Kribus déroule son histoire. « Les enfants ne sont pas responsables des conneries de leurs parents » s’agace Henri. La réciproque est-elle vraie ? Ces deux loosers ont honte de la vie qu’ils ont subie, qu’ils n’ont pas su contrôler. Cette rencontre à fleurets-mouchetés étincelle de vie, d’humour, de mal-être, d’angoisses déguisées, de réflexions contradictoires. Et d’amour.
JEAN-LOUIS CHALES
Le Grand Retour de Boris S
Jusqu’au 21 juillet, Théâtre Au Bout Là-bas, Avignon