jeudi 18 avril 2024
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Avignon, ou le changement en douceur

Une femme dans la Cour, la Carrière qui rouvre, plus de places à la vente, et des artistes qu’on retrouve avec joie ! Tiago Rodrigues présente son premier Festival 

Tiago Rodriguez présente la 77e édition du Festival d’Avignon © Christophe Raynaud de Lage

Le nouveau directeur du Festival d’Avignon avait promis de ralentir. De proposer moins, en accueillant mieux le public et les artistes. Pourtant, ce ne sont pas moins de 125 000 places qui sont proposés à la vente, soit 12000 de plus, avec 45 spectacles à l’affiche, pour près de 250 représentations. Sans compter les propositions gratuites, les rencontres et les lectures…  Comment, dans le contexte économique actuel, et sans augmentation de subventions, l’équipe parvient-elle à une telle offre ? 

La première recette est la diminution des propositions gratuites, qui ont un coût, et la légère augmentation du prix des places, jusqu’à quarante euros dans la Cour d’Honneur. La seconde, la réouverture de la Carrière Boulbon, avec sa grande jauge. Plus de places, un peu plus chères, devraient garantir des recettes (budget global de 17 millions), et compenser un peu l’explosion des coûts des voyages, des hébergements, et des fluides…

Mémoire et héritages

Quant aux productions et coproductions, elles semblent moins nombreuses : Tiago Rodrigues ne présentera pas de spectacle, et le nombre de coproducteurs impliqués dans chaque spectacle est symptomatique de l’état actuel de la production théâtrale des grandes maisons européennes, qui consacrent des sommes de plus en plus faibles aux spectacles qui font leurs saisons. 

Néanmoins, l’empreinte du directeur est là. Parce que le Festival se conclura par une représentation exceptionnelle de By Heart dans la Cour, un merveilleux spectacle sur la disparition des mots qui touche au cœur, par cœur, la mémoire des spectateurs invités sur la scène, entre Shakespeare et la vieillesse. 

Le rapport au répertoire shakespearien passe aussi par la création de The Romeo dans la Cour, du chorégraphe Traja Harwel autour de l’archétype de l’amoureux ; ou la rêverie de Gwenaël Morin, autour du Songe d’une nuit d’été et de son quadrille amoureux.

La marque de la programmation de Tiago Rodrigues se perçoit aussi dans le retour d’une certaine danse, celle de Mathilde Monnier, qui met en gestes et en scène la mini-série féministe H24. Et la double présence d’Anne Teresa de Keersmaeker, pour une création, et la reprise de En Atendant où les corps sont musique, chant, renaissance, jubilation.

Luttes internationales

Mais ce qui caractérise sans doute le mieux cette programmation est la diversité des générations et des esthétiques, la dimension internationale, la parité acquise, l’intersectionnalité et la lutte politique en scène. 

Ainsi Julie Deliquet ouvre le festival dans la Cour, avec Welfare, inspiré du film de Frederik Wiseman sur les sans-abris ; une création précédée, de quelques heures, par la celle de Bintou Dembelé, qui chorégraphie les souffrances et les révoltes des corps noirs opprimés, introduisant la force du hip-hop jusque dans l’opéra, et le racisme des Indes Galantes

On retrouvera Milo Rau, pour une Antigone amazonienne créée avec le Mouvement des Sans Terre (ou la lutte politique au Brésil) ; Julien Gosselin, pour un petit marathon de cinq heures autour de l’ Extinction inspiré de Schnitzler et Thomas Bernhard (ou la peur européenne de la disparition) ; Philippe Quesne pour un Jardin des Délices rétro-futuriste, ou le seul avenir possible semble un retour ironique vers les temps pré-modernes ; et  Krystian Lupa, polonais qui met en scène les récits croisés de l’allemand Sebald, Les Emigrants, pour revenir sur les traumatismes historiques d’un XXe siècle qui décidément ne passe pas.

Tragédie, Olivier Dubois © Christophe Raynaud de Lage

Une expérience forte à ne pas rater : Carte Noire nommée désir, un spectacle de Rebecca Chaillon pour huit performeuses noires. Une lutte contre les obscurantismes masculinistes, mais aussi contre tous les petits préjugés essentialistes qui restent ancrés dans bien des consciences. 

Vous pourrez aussi aller passer une journée de sept heures dans les Paysages et Forêts de Stefan Kaegi qui avec la curatrice Caroline Barneaud a proposé à sept artistes une création, plastique, théâtrale, dansée, sur le paysage, et notre inscription, artistique et scientifique dans sa cartographie réelle. 

Et comme chaque année, allez jeter un œil à Vive le sujet, où un artiste en choisit un autre pour une collaboration plus ou moins impromptue et éphémère. On aura le plaisir de retrouver dans l’un d’entre eux Balkis Moutashar. Une des très rares propositions d’artistes de la région, ce qui est une constante lorsqu’une nouvelle équipe de direction arrive, mais n’arrange pas l’économie culturelle régionale… 

Les réservations sont ouvertes, bien plus tôt que d’habitude, et pour tous. La promesse de mieux accueillir le public est déjà, en ce sens, à l’œuvre !

AGNÈS FRESCHEL

Festival d’Avignon 
Du 5 au 25 juillet
festival-avignon.com
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