Fille « bâtarde » du maître potier Talbot et de sa domestique, la petite Jeanne Brûlé grandit solitaire, observant à la dérobée le travail des hommes dans l’atelier. La matière travaillée dans la région est le grès, une argile particulière, utilisée par les potiers du Berry. Une terre qui, à la cuisson, devient dure comme la pierre. Rebelle à toute coloration. Brute. Éternelle. A la fabrique, les femmes ne sont admises que pour les humbles tâches : apporter les repas, nettoyer les pots. C’est ainsi, les hommes sont potiers et aucune femme n’a accès à la terre. Mais dans ce pays de sorciers où les goupils pondent des œufs, l’impossible est un possible.
Jeanne est vite « possédée » par sa passion pour la sculpture. En cachette, elle modèle… Des femmes exclusivement. Elles représentant leurs luttes, leurs souffrances et leurs espoirs comme un moyen de les faire exister là où naître femme est une infirmité. « Elles étaient là, apprêtées, imposantes, libres, solides comme le grès, en magistère dans leurs nouvelles demeures. J’imposais leur présence partout comme une allégorie. Les rendre visibles ». Ces guerrières de pierre deviennent les « cadences de ses jours ».
Comme une bête sauvage
Son « père » découvre ses œuvres par hasard et lui permet d’intégrer l’atelier : « À partir de ce jour, ma vie a véritablement commencé. Je fus la première femme à pénétrer dans ce monde d’hommes, je travaillais avec mon père. Je ne l’observais plus de loin ou derrière une vitre comme une bête sauvage ». Bientôt elle choisit de se faire prénommer Marie. Jeanne Brulé devient Marie Talbot.
Contrainte de se marier comme l’obligeait l’époque, elle ne sera pas heureuse dans sa prison maritale : « Comment aurais-je pu supporter l’intimité d’une personne que je haïssais ? ». « Pourquoi le mariage abolissait-il ainsi la liberté ? Assujettissait-il à un maître ? Pourquoi les hommes voulaient-ils faire de leur compagne des servantes ? »
Marie Talbot est une énigme. Aucun portrait d’elle n’existe à part une petite sculpture réalisée par son père. Restent ses créations, ses femmes fontaines… Sublimes. Ingrid Glowacki a romancé sa vie autour de dates réelles et connues de son existence. Elle a mêlé à son histoire George Sand, qu’avec toute vraisemblance, Marie aurait pu rencontrer et avec laquelle elle aurait sans doute été amie.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
La poète aux mains noires, de Ingrid Glowacki
Gallimard – 22 €
Sortie le 12 septembre