Si les Carlissimo, concerts du lundi du Conservatoire de Marseille, réservent toujours de belles surprises, c’est une soirée d’exception à laquelle ont assisté les spectateurs du Palais Carli. Avec Schönberg, un révolutionnaire viennois, les musiciens affrontaient un monument qui a révolutionné la musique du XXe siècle. « Pourtant, Schönberg ne se vivait pas comme un révolutionnaire, introduit le musicologue Lionel Pons. Il n’avait pas le sentiment d’être en rupture mais dans la continuité d’une école de musique allemande, en filiation avec Bach, Beethoven, Brahms. Il estimait avoir poussé plus loin ce que Wagner n’avait pas eu le temps de faire, c’est-à-dire s’émanciper de la tonalité basée sur des accords consonants pour aller vers la musique atonale. »
Le concert commence sagement, par une transcription de la Valse de l’empereur de Johann Strauss, rappelant que Schönberg débuta sa carrière en écrivant de la musique romantique. Elle est suivie par La nuit transfigurée, œuvre de jeunesse pour sextuor à cordes : Yves Desmons et Marc Vieillefon au violon, Tania Ravonimihanta et Brice Duval à l’alto et Marine Rodallec et Pierre Nentwig au violoncelle donnent vie avec une belle énergie et une grande tension dramatique à cette partition tournant comme un tourbillon, passant d’un ré mineur anxieux et sombre à un ré majeur transfiguré par la lumière. Le compositeur d’à peine 25 ans, qui va bientôt donner naissance à la seconde école de Vienne, commence à explorer les limites de la tonalité.
Au tour de Pierrot
Puis vient l’heure attendue du Pierrot Lunaire, œuvre qui va bouleverser l’histoire de la musique. En 1912, la chanteuse de cabaret Albertine Zehme passe commande à Schönberg d’une création pour un tour de chant. La première guerre mondiale menace. En Autriche, domine le sentiment diffus que la fin d’une époque approche comme en témoigne le tableau Le cri de Munch. Schönberg va mettre en musique 21 courts poèmes d’Albert Giraud, dont certains comme Messe rouge, Lune malade ou Pierrot voleur sont totalement macabres. Le compositeur viennois, en pleine période expressionniste, les adapte sous forme de spretchgesang, un parlé-chanté qui n’est pas un récitatif mais une note juste qui une fois positionnée à sa bonne hauteur est phrasée de manière outrée, cynique, tragique. Dans l’interprétation de cette œuvre, rarement jouée dans son intégralité, la soprano Brigitte Peyré, ovationnée, est magistrale. À la direction, Sébastien Boin subtil, précis, virevolte. Un moment rare, intense dont on se souviendra.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Concert donné le 2 décembre au Conservatoire Pierre Barbizet, Marseille.
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