mercredi 2 octobre 2024
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Changer les faces du monde

La nouvelle exposition du Mucem décentre les regards sur le monde, au-delà de la vision occidentale

L’histoire s’écrit dans les travaux universitaires, éventuellement les journaux, mais aussi dans les musées. Trop longtemps, ces institutions ont présenté au public de quoi conforter le « roman national » – et parfois international – avec les préjugés propres à chaque époque. La nôtre a évidemment les siens, mais elle essaie tant bien que mal de desserrer l’étau des intolérances, d’ouvrir l’historiographie à d’autres cultures que celle de l’Occident, hégémonique depuis peu ou prou deux siècles. Pour un établissement dit « de société », tel que le Mucem, il s’agit de sonder les courants et les contextes sans conformisme, en acceptant de remettre en question ses propres approches.

Avant de céder la place à son successeur Pierre-Olivier Costa, l’ex-président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Jean-François Chougnet, avait programmé une exposition allant dans ce sens. Une autre histoire du monde, conçue par les commissaires Fabrice Argounés, Camille Faucourt et Pierre Singaravélou, s’ouvre en ce mois de novembre avec l’ambition de promouvoir des récits différents, en abandonnant la perspective occidentale.

Entre la présence et l’absence

Logiquement, le parcours ne présente pas de linéarité chronologique ou de préséance géographique. Le travail des trois maîtres d’œuvre a plutôt consisté à relever des parallèles, divergences, récurrences, lignes de force, dans l’infinité de représentations du temps et de l’espace que les êtres humains ont pu élaborer au fil des siècles. Ils se sont servis pour cela d’une fine sélection de calendriers et surtout cartes, très impressionnantes dans leur variété et leur profusion. Ou bien de supports de narration, tels que ce bambou gravé de Nouvelle-Calédonie qui relate en dessins l’arrivée des colonisateurs français à partir de 1853, ou cette peau de bison peinte, témoignant des exploits d’un guerrier Sioux à peu près au même moment, mais très loin de l’île. En n’oubliant pas les traditions orales, mises en valeur dans un intelligent dispositif sonore par Chloé Despax. En laissant sa place à l’inconnu (ces khipus incas, fines cordelettes à nœuds, servaient-ils à compter les jours, les données démographiques, les tributs, les inventaires ?). Ou à ce qui est perdu, du fait de l’impitoyable tri opéré par les vainqueurs dans la mémoire des peuples. Une vitrine est ainsi restée vide, car elle symbolise les « fantômes de l’histoire matérielle et culturelle de l’humanité ».

Pour aller plus loin
Le catalogue de l'exposition, co-édité par le Mucem et Gallimard, est un beau cadeau à (se) faire au moment des fêtes, afin d'approfondir la pluralité des récits historiques présentés sur les cimaises du musée, et leurs résonances actuelles. On y trouve notamment une série de créations graphiques, aquarelles, encres, gravures ou pastels, inspirées à des illustrateurs contemporains par des œuvres et objets figurant dans le parcours.
Éditions Gallimard/Mucem - 26,50 €

Renversement de la carte

Avec la mondialisation, entamée bien plus tôt qu’on ne le croit souvent, les mythologies et cosmologies se sont percutées, hybridées, autant que les sciences et les techniques ont pu se répandre, se succéder les unes aux autres. Il est intéressant de voir comment l’architecture occidentale a intrigué les Indiens, comment Chinois et Iraniens percevaient les mœurs européennes. L’armement, en tout cas, a l’air d’en avoir fasciné plus d’un, si l’on en croit les scènes de chasse ou les mousquets figurant dans les œuvres picturales présentées. Les habitants d’Afrique ou d’Asie ont-ils eu spontanément envie d’adopter nos codes ? Sans doute parfois, mais l’exposition ne dissimule pas la terrible vérité : pour généraliser notre vision du monde, linéaire et évolutionniste, ce qui implique d’énormes conséquences, particulièrement le concept de progrès et celui de civilisation, il fallut partout en passer par la violence militaire, l’oppression, l’acculturation. Il est temps de renverser les perspectives, comme le revendique Chéri Samba au pied d’une grande toile, La Vraie Carte du monde, réalisée par l’artiste en 2011 : « placer l’Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être en haut, pour qu’à leur tour les autres pensent être en bas ».

GAËLLE CLOAREC

Une autre histoire du monde
Jusqu'au 11 mars
Mucem, Marseille

Les procès du siècle - Saison 3
Luttes en partage : tel est le thème prometteur de la troisième série de rencontres organisées dans l'auditorium Germaine Tillon. Au « croisement du débat, du théâtre et de l’instruction judiciaire », les échanges porteront sur les droits humains et les droits de la Terre. Après l'ouverture de saison en fanfare, aux côtés de la rock star de l'éco-féminisme, Vandana Shiva, invitée par Opera Mundi le 16 novembre, Salomé Saqué, auteure du livre Sois jeune et tais-toi, débattra avec le sénateur David Assouline, puis Mame-Fatou Niang (enseignante-chercheuse et artiste) avec Seumboy Vrainom :€ (artiste et militant) autour des notions de post, néo ou décolonialisme.
À suivre tous les lundis soirs à 19 h, en entrée libre. G.C.
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