Zébuline. Votre début de saison comporte deux adaptations de films d’Ingmar Bergman. Le diptyque Après la répétition / Persona, mis en scène par Ivo van Hove, que vous interprèterez avec Emmanuelle Bercot fin septembre, et A Bergman Affair en février. Est-ce un choix délibéré ?
Charles Berling. Pas vraiment, non. Il s’agit d’un hasard de calendrier, même si au fond il n’y a jamais vraiment de hasards [rires]. Ivo van Hove avait créé ce spectacle avec une troupe d’acteurs hollandais il y a dix ans, et nous venons de le recréer au Printemps des Comédiens. J’avais vu la pièce à Londres et j’avais été bouleversé. L’œuvre de Bergman embrasse énormément de choses, du point de vue de l’art, du langage, de la compréhension de l’être humain sous toutes ses facettes, y compris les plus retorses. C’est une pièce très forte, et travailler sous la direction d’Ivo van Hove a été une immense joie. Toujours est-il qu’il n’est pas étonnant qu’Olivia Corsini, qui est une actrice et metteuse en scène de grand talent, se soit intéressée à Bergman, elle qui avait mené un projet à terme sur Raymond Carver, immense auteur. Nous avons vu son spectacle et l’avions trouvé très beau. Un heureux hasard, donc. La vraie thématique de ce début de saison, Y croire, qui articule notre programmation, se retrouve à vrai dire dans toute l’œuvre de Bergman, quand on y pense : dans sa façon d’interroger l’amour, et même l’art du théâtre.
Votre programmation opère justement de nombreux allers-retours entre cinéma et théâtre : Bergman donc, en compagnie d’Emmanuelle Bercot plus présente sur les écrans que sur les plateaux, Nanni Moretti qui fera sa première mise en scène sur les planches, Carole Bouquet en Bérénice, Roschdy Zem et Laetitia Casta dans une transposition pour la scène d’Une journée particulière d’Ettore Scola, ou encore Anne Brochet … Peut-on dire que cela est devenu votre marque de fabrique ?
J’ai toujours eu à cœur de dé-segmenter les choses. J’ai toujours effectué ces fameux allers-retours entre les écrans, au cinéma mais aussi même dans des téléfilms – j’ai récemment joué le rôle de Romain Gary pour Philippe Lefebvre, et c’était une expérience formidable ! Tous les acteurs et surtout actrices que vous mentionnez ont déjà fréquenté le théâtre et le cinéma, en y apportant toujours des choses nouvelles. De même que je prends soin de conserver un équilibre entre le grand spectacle, au sens le plus noble du terme, et une exigence artistique à toute épreuve. La seule chose qui me manque, parfois, c’est le temps, car le métier de comédien laisse finalement peu de temps libre pour aller voir jouer les copains [rires]. Je peux heureusement compter sur une équipe incroyable, qui sait prendre le temps de prospecter : Stéphane de Belleval, Benoît Olive, Cynthia Montigny – entre autres ! Et notamment de découvrir et de chérir les compagnies régionales, de leur donner toute l’attention qu’elles méritent. Marie Vauzelle, François Cervantes par exemple… On accompagne ainsi souvent des artistes dans leur reconnaissance nationale, voire internationale. Je suis particulièrement fier que Châteauvallon-Liberté ait permis de mettre en avant une artiste aussi formidable qu’Alexandra Cismondi, par exemple. Et puis il ne vous aura pas échappé que je suis sensible à la notion de fidélité : Michel Boujenah sera de nouveau présentpour son seul-en-scène, Muriel Mayette pour Bérénice, ou encore Olivier Martin-Salvan et son Péplum médiéval. Ce sont des artistes et des personnes que je chéris.
Ce début de saison mettra également en avant des artistes s’intéressant à la représentation des Noirs, au théâtre avec Tania de Montaigne mais aussi Kery James côté musiques, la chorégraphe Dada Masilo et son Sacrifice inspiré du Sacre du Printemps… Est-ce une mission qui vous tient à cœur ?
Il me tenait avant tout à cœur de programmer des artistes intéressants, qui avaient des choses à dire et des façons intéressantes de le dire … L’idée n’était évidemment pas de chercher à tout prix une représentativité factice. Un réel rééquilibrage doit être fait, au même titre qu’entre hommes et femmes. Mais je n’ai personnellement pas attendu les quotas pour m’y atteler ! Je m’intéresse avant tout à l’essence des œuvres. Dans mon parcours, ma filmographie, je serais bien malaisé de relever ce qui a pu différer entre un metteur en scène et une metteuse en scène. Lorsque j’ai découvert le travail de metteur en scène de Jean-Pierre Baro, j’ai été soufflé par son travail. Avant même de découvrir qu’il était noir. J’espère parvenir à le programmer sur la saison prochaine, car il a vraiment énormément de talent.
Comment concevez-vous l’avenir de Châteauvallon-Liberté ? Vous appliquez-vous à vous-même le théma de ce début de saison, y croire ?
Bien sûr que j’y crois, et qu’il faut toujours rester optimiste. Mais je n’ai pu m’empêcher de constater, comme tous mes collègues, la baisse des budgets qui nous a notamment contraints à amputer cette saison d’une dizaine de spectacles. L’inflation, la hausse des salaires n’ont toujours pas été compensées, et nous espérons que notre travail d’action culturelle ne va pas en pâtir car il est essentiel. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression qu’aucun grand responsable politique ne prend la peine de le rappeler : cette nécessité de défendre ce système absolument unique qui doit être pensé en dehors du marché, et non pas en fonction de lui. Mais nous allons tous nous battre !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA
Châteauvallon – Liberté
Scènes nationales de Toulon et Ollioules
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